Critique Cinéma – Notre avis sur Demon Slayer : Kimetsu no Yaiba – La Forteresse infinie (Partie 1)

22 Sep 2025 | Cinéma Séries, CINEMA – MIS EN AVANT

Demon Slayer : Kimetsu no Yaiba – La Forteresse infinie

Il est rare qu’un film d’animation pensé comme premier chapitre d’une trilogie finale assume aussi ouvertement son rôle tout en offrant une véritable expérience de cinéma. Demon Slayer : Kimetsu no Yaiba – La Forteresse infinie (Partie 1), produit par Aniplex et distribué par Crunchyroll et Sony Pictures Entertainment, était attendu comme un événement mondial. Sur grand écran, cette attente se confirme : le long-métrage n’est pas une simple extension de la série télévisée mais une proposition pensée pour la salle, capable de transformer les codes de la saga en une expérience immersive et spectaculaire.

Dès les premières minutes, le film affiche sa volonté de repousser les limites techniques de l’animation japonaise. Le studio ufotable, déjà réputé pour la fluidité de ses scènes de combat et son sens du détail, atteint ici un niveau impressionnant. La mise en scène ne se contente pas d’être lisible : elle devient un langage. Chaque affrontement est construit comme une chorégraphie, avec des travellings vertigineux, des jeux de lumière qui soulignent la puissance des coups et une précision constante dans l’impact émotionnel. Contrairement à bien des productions qui confondent vitesse et confusion, le film privilégie la clarté. Les combats sont rapides, intenses, mais toujours compréhensibles. C’est sans doute ce qui frappe le plus : la faculté à rester spectaculaire sans jamais perdre le spectateur.

La Forteresse infinie, cadre principal de cette partie, est à la fois décor et personnage. Son architecture mouvante, ses salles démesurées et ses escaliers qui se transforment offrent un terrain de jeu idéal pour les animateurs. Cet environnement n’est pas qu’un décor exotique : il structure la narration et conditionne les affrontements. La verticalité, les perspectives impossibles et la sensation d’espace infini renforcent l’intensité des duels. L’intégration de la 3D, souvent mal maîtrisée ailleurs, se révèle ici exemplaire. Elle permet des mouvements de caméra impossibles à la main, mais toujours au service de l’action. L’ensemble conserve une texture artisanale, une chaleur visuelle qui empêche toute impression artificielle.

Cette virtuosité visuelle est accompagnée d’une bande originale à la hauteur. Les compositeurs Yuki Kajiura et Go Shiina livrent une partition épique, parfois solennelle, parfois lyrique. Les cordes, les chœurs et les percussions donnent à chaque affrontement une dimension dramatique supplémentaire. La musique ne se contente pas d’illustrer l’action : elle amplifie les émotions et accompagne les éclats de bravoure. Le design sonore complète cette immersion en donnant aux coups, aux respirations et aux brisures de l’espace une matérialité presque palpable. Dans une salle équipée, l’expérience sonore est aussi marquante que l’expérience visuelle.

Sur le plan narratif, le film s’affirme comme une première étape. Il enchaîne plusieurs combats importants, entrecoupés de retours en arrière qui éclairent les motivations des personnages. Ces flashbacks apportent de l’épaisseur dramatique mais imposent aussi un rythme particulier, parfois jugé répétitif. La séquence centrale souffre de ce schéma – rencontre, souvenir, combat – qui peut ralentir l’élan. La dernière heure, plus tendue et plus fluide, regagne une intensité qui emporte l’adhésion, mais l’ensemble aurait gagné à être légèrement allégé pour préserver sa dynamique.

La longueur, deux heures et demie, participe de cette ambivalence. D’un côté, elle permet de développer plusieurs arcs parallèles. De l’autre, elle peut peser, surtout pour ceux qui ne sont pas familiers de la saga. Le film s’adresse avant tout aux spectateurs à jour, qui apprécieront qu’il évite les redites. Les nouveaux venus, eux, risquent d’être déroutés par la densité de l’univers.

Sur le plan des personnages, le film réussit à donner une place importante à plusieurs figures, mais la distribution est tellement vaste qu’il est impossible de tout équilibrer. Certains piliers marquent l’écran, d’autres restent en retrait, en attente des volets suivants. Quant au grand antagoniste, il se fait encore discret, ce qui peut frustrer certains. Ce choix est néanmoins cohérent avec un récit pensé en trois films, qui préfère monter la tension progressivement.

Les thèmes, eux, restent fidèles à ce qui a fait le succès de Demon Slayer. Le film parle de persévérance face à l’adversité, de deuil qui devient moteur, de liens familiaux et amicaux qui donnent la force de continuer, mais aussi de la compassion possible même envers l’ennemi. Chaque retour en arrière rappelle que les démons eux-mêmes ont une histoire, et que la violence est toujours liée à une souffrance passée. La Forteresse elle-même incarne cette dualité : lieu de piégeage et de peur, mais aussi miroir des émotions de ceux qui s’y affrontent. Le contraste entre la lumière éclatante des techniques et l’ombre oppressante de l’architecture fait écho à cette lutte constante entre vie et destruction.

Comparé au précédent grand succès, Le Train de l’Infini, les différences sautent aux yeux. Ce dernier offrait un arc fermé, un récit autonome qui pouvait être vu indépendamment. La Forteresse infinie (Partie 1), au contraire, revendique son statut de premier acte. Visuellement, il surpasse son prédécesseur, mais narrativement, il demande davantage d’investissement et laisse volontairement beaucoup de portes ouvertes. C’est un choix artistique assumé : celui de construire une conclusion sur trois mouvements, plutôt que d’offrir un film isolé.

L’interprétation vocale contribue aussi à l’émotion. La version originale japonaise se distingue par une intensité et une sincérité qui donnent chair aux personnages. Le doublage international, notamment anglais ou français, permet une accessibilité plus large sans dénaturer l’œuvre, mais c’est bien en version originale que l’on mesure la finesse de jeu et la modulation des voix. Là encore, tout est mis au service d’une expérience de salle complète.

En définitive, La Forteresse infinie (Partie 1) laisse une impression paradoxale et pourtant cohérente : on en sort à la fois comblé et dans l’attente. Comblé par la richesse visuelle, la force de la mise en scène, l’ampleur musicale et sonore, par cette capacité rare à exploiter le cinéma dans toute sa dimension immersive ; mais dans l’attente aussi, car ce premier acte ne conclut rien et prépare l’élan de la suite. Ses défauts – rythme parfois inégal, flashbacks qui alourdissent, accessibilité limitée aux néophytes – n’annulent jamais la puissance d’un spectacle qui confirme la place unique de la franchise dans le paysage de l’animation contemporaine. Ce film prouve qu’un anime peut offrir, au même titre qu’un grand film en prises de vues réelles, une expérience totale : récit, fresque visuelle et aventure sensorielle.