Pluribus
Vince Gilligan, figure majeure de la télévision américaine contemporaine, revient avec Pluribus, une série disponible sur Apple TV. Le créateur de Breaking Bad et Better Call Saul délaisse cette fois les territoires du crime pour explorer une science-fiction existentielle où la frontière entre bonheur et liberté devient le cœur du récit. Portée par Rhea Seehorn, l’interprète de Kim Wexler dans Better Call Saul, cette œuvre en neuf épisodes s’inscrit dans une veine plus conceptuelle, où la tension dramatique se déploie à travers une idée singulière : la personne la plus malheureuse sur Terre doit sauver le monde du bonheur.
Un projet au croisement des genres
Pluribus s’inscrit dans la tradition narrative que Vince Gilligan affectionne : un point de départ ordinaire, dérivé vers l’exceptionnel. L’univers de la série, à la fois réaliste et déformé par un événement global, évoque un monde où un phénomène mystérieux conduit l’humanité vers une forme d’euphorie collective. Dans cet environnement paradoxal, l’héroïne, interprétée par Rhea Seehorn, incarne une survivante émotionnelle, imperméable à cette contagion du bonheur universel. Le récit s’attache à suivre son parcours à travers une société transformée, dans une tension constante entre l’individuel et le collectif.
La mise en scène repose sur un équilibre entre drame intime et science-fiction philosophique. Gilligan, connu pour son sens du rythme et de la composition visuelle, conserve une approche sobre : l’univers n’est pas futuriste au sens technologique, mais plutôt décalé, étrangement familier. L’ambiance rappelle les récits spéculatifs des années 1970, où la science-fiction servait avant tout de miroir social.
Une distribution solide et un ancrage esthétique maîtrisé
Rhea Seehorn occupe le centre du dispositif narratif avec une présence tout en retenue, incarnant une figure à la fois cynique et vulnérable. Autour d’elle gravitent Karolina Wydra, Carlos-Manuel Vesga, Miriam Shor et Samba Schutte, dans des rôles secondaires qui participent à construire la dimension collective du récit. La série est produite par Sony Pictures Television, sous la supervision directe de Gilligan et de plusieurs collaborateurs issus de ses précédents projets, assurant une continuité esthétique et narrative.
Le tournage, situé principalement au Nouveau-Mexique, confère à Pluribus une identité visuelle identifiable : paysages arides, lumière naturelle et atmosphère suspendue. Ce choix prolonge la signature de Gilligan tout en lui donnant une inflexion nouvelle, tournée vers l’abstraction.
Une œuvre de science-fiction à tonalité morale
Au-delà de son intrigue, Pluribus questionne la place de la tristesse et du désespoir dans une société obsédée par le bien-être. Le concept de “sauver le monde du bonheur” devient la métaphore d’une lutte pour la complexité humaine face à une uniformité émotionnelle. Là où la plupart des récits catastrophistes imaginent la fin du monde par la violence, Gilligan propose l’effacement de l’individualité par excès de satisfaction.
Cette approche confère à la série une densité rare : chaque épisode explore les effets du phénomène à différentes échelles – intime, sociale, politique – sans jamais rompre avec la ligne dramatique principale. La narration, linéaire mais ponctuée de ruptures sensorielles, laisse place à une réflexion implicite sur la notion de libre arbitre.
Positionnement dans le catalogue Apple TV
Avec Pluribus, Apple TV poursuit une stratégie éditoriale fondée sur la mise en avant de créations originales à forte identité d’auteur. La série rejoint le segment des productions premium où le récit conceptuel s’allie à une exigence visuelle marquée. Elle s’adresse à un public adulte, curieux de fictions ambitieuses, et consolide la présence de la plateforme sur le terrain du drame de science-fiction.
En choisissant Vince Gilligan, Apple TV capitalise sur un savoir-faire narratif reconnu tout en l’inscrivant dans un contexte inédit. Pluribus ne cherche pas à reproduire la dynamique de ses précédentes séries, mais à prolonger leur exigence dramatique dans un cadre plus symbolique.
Série hybride et maîtrisée, Pluribus s’impose ainsi comme une œuvre à part dans la production actuelle : un récit spéculatif où la science-fiction devient le vecteur d’un questionnement moral, et où le malheur, paradoxalement, prend la forme d’une résistance humaine.





