TEST – Notre avis sur Anno 117: Pax Romana (PC)

21 Déc 2025 | TESTS / PREVIEWS

Anno 117: Pax Romana

Anno 117: Pax Romana s’inscrit d’emblée dans une position particulière. Celle d’une série qui, au fil des épisodes, a appris à transformer ses chaînes de production en mécanismes profondément absorbants, capables de capturer l’attention sur la durée, et celle d’un cadre historique dont la grandeur évoquée pèse autant qu’elle inspire. L’Antiquité romaine n’est pas un terrain neutre : elle charrie des attentes, des images, une idée de puissance organisée qui peut aussi bien nourrir le gameplay que l’enfermer dans une simple façade.

Pour Ubisoft Mainz, le défi ne se limitait donc pas à un changement d’époque ou de décor. Il s’agissait de vérifier si cette transposition permettait de faire évoluer ce qui constitue le cœur d’Anno : ces tensions internes, parfois discrètes mais toujours structurantes, entre expansion et contrôle, entre liberté urbaine et rigueur comptable, entre la montée en gamme d’une cité et la fragilité permanente de son équilibre économique. Anno 117 se présente ainsi comme une expérience appelée à interroger sa propre formule : jusqu’où peut-on en lisser l’accès sans en altérer la substance ? Comment moderniser ses systèmes sans en affaiblir la pression ?

Le choix de l’année 117 n’est pas un simple décor, et c’est heureux. La Pax Romana, en tant qu’idée, porte une tension intéressante : la paix n’est pas l’absence de contraintes, c’est une organisation, donc un cadre qui impose sa logique. Le jeu exploite cela avec une sobriété bienvenue. Il ne cherche pas la reconstitution scolaire ; il préfère vous placer dans une posture crédible. Vous n’êtes pas un conquérant romantique, vous êtes un gouverneur. Un gestionnaire de prospérité, un administrateur du compromis, quelqu’un qui doit tenir ensemble production, approvisionnement, stabilité sociale et attentes d’un pouvoir supérieur. Dans ce cadre, bâtir n’est pas seulement poser des maisons et tracer des routes : c’est organiser des circulations de biens, de travail et de satisfaction, jusqu’à transformer une île en structure politique fonctionnelle. Le jeu insiste sur cette matérialité. Il vous fait sentir, très tôt, qu’une ville peut être splendide et pourtant fragile, efficace et pourtant socialement instable. L’ambiance romaine est bien là, mais elle sert surtout une idée simple : la grandeur n’existe que si l’intendance suit.

La première qualité qui s’impose, celle qui donne envie de s’installer, tient à la clarté de la boucle de jeu. On construit, on produit, on distribue, on satisfait, on fait évoluer, on débloque, on complexifie, puis on recommence avec un cran de difficulté supplémentaire. Le cycle est ancien, presque archetypal dans la série, mais Anno 117 le sert avec une fluidité rare. L’ergonomie y est pour beaucoup : informations mieux hiérarchisées, retours plus directs, tensions économiques présentées sans vous écraser sous des alertes permanentes. Le jeu donne davantage l’impression d’accompagner que de punir. On peut y voir un compromis. J’y vois surtout une intention : réduire les frictions qui fatiguent sans enrichir. Résultat, on avance avec un sentiment de contrôle, et l’on s’aperçoit plus tard qu’on a passé des heures à “juste” stabiliser une filière alimentaire ou à optimiser des échanges maritimes, comme si l’équilibre d’un entrepôt avait une valeur morale.

Cette accessibilité ne signifie pas que le jeu a perdu sa profondeur. Les chaînes de production restent le cœur battant d’Anno 117, et elles conservent ce talent propre à la série : transformer un besoin simple en réseau d’interdépendances. On démarre avec des ressources élémentaires, puis tout s’épaissit. Chaque amélioration sociale exige une orchestration plus fine, une combinaison de production, de transformation, de transport et de distribution. La différence se situe ailleurs : dans la souplesse avec laquelle le jeu vous laisse résoudre les problèmes. Là où certains Anno imposaient une trajectoire plus rigide, celui-ci tolère davantage l’ajustement, la compensation, la correction progressive. Cela rend l’expérience plus naturelle, moins “ingénierie pure”, surtout en début et milieu de partie, quand l’on expérimente et que l’on apprend en construisant. Mais cette souplesse a un revers : sur le très long terme, la sensation d’être acculé par un système impitoyable se fait plus rare. On trébuche moins, on récupère plus facilement, et le soulagement de la réussite peut parfois être moins intense, parce que le jeu vous laisse plus de marge.

Cette impression de marge se ressent aussi dans la ville elle-même, qui n’est plus seulement un résultat, mais un espace de choix plus libre. L’urbanisme gagne en flexibilité et évite une partie de la rigidité que l’on a pu connaître dans les plans trop carrés, trop parfaits, presque abstraits, de certains épisodes. Ici, l’irrégularité est davantage tolérée, et ce détail change beaucoup. On peut viser l’efficacité sans que la ville ressemble à un schéma. On peut chercher une mise en scène sans se punir économiquement à chaque détour. Et Anno reste l’un des rares city builders où cette mise en scène a un sens : voir un quartier prendre vie, observer la densité se transformer, sentir l’activité se concentrer autour d’un axe commercial, ce n’est pas une simple décoration, c’est le signe que votre système tient.

Visuellement, la réussite est réelle, mais elle va au-delà du “c’est beau”. Elle tient à une cohérence d’ensemble : matières, lumière, échelle, et surtout rôle structurant de l’eau et des rivages dans votre expansion. Contempler la ville ne ressemble pas à une pause. C’est une façon d’évaluer, d’anticiper, de vérifier qu’un plan urbain reste lisible et fonctionnel. L’image devient un outil de lecture. Le son accompagne cette approche, avec une ambiance qui soutient la sensation d’activité, de continuité, de ville habitée. Ce sont des éléments subtils, mais ils renforcent une qualité essentielle : l’impression d’être responsable d’un lieu, pas seulement d’un tableau de chiffres. Techniquement, l’exécution est globalement solide. La lisibilité est bonne, le rendu convaincant, et la stabilité générale satisfaisante, même si l’on sent encore, dans les parties longues et complexes, quelques aspérités d’ergonomie et de manipulation. Rien qui renverse l’expérience, mais suffisamment pour rappeler que ces jeux se jugent sur la durée, et que chaque petite friction finit par peser quand on s’y installe des dizaines d’heures.

Là où Anno 117 affirme le mieux son identité, c’est dans sa gestion des provinces et des cultures. La série a souvent joué sur des contrastes de biomes ou d’ambiances, mais ici le contraste est plus directement lié au gameplay. On ne bâtit pas de la même manière selon l’environnement, selon la population, selon le contexte. Le jeu propose une vraie réflexion, concrète, sur la manière dont un pouvoir central peut absorber ou composer avec des spécificités locales. Les choix d’assimilation ou d’adaptation ne restent pas au niveau du discours : ils modifient des besoins, influencent des chaînes, orientent une manière de planifier. J’aime quand un thème devient une contrainte de design, parce qu’il cesse d’être un vernis. Sur ce terrain, Anno 117 est souvent juste, et parfois même inspiré.

La religion s’insère dans la même logique. Elle n’écrase pas le jeu sous un système spectaculaire, mais elle agit comme un levier stratégique, un modificateur qui oriente vos priorités, vos investissements, votre façon de spécialiser une province. Le joueur aguerri y verra des opportunités d’optimisation et de stabilisation, sans que cela transforme complètement la partie. Le système est pertinent, même si, là encore, j’aurais aimé des contreparties plus tranchées, une prise de risque plus marquée, pour donner davantage de poids aux choix.

La campagne, en revanche, me laisse un jugement plus partagé. Elle encadre bien, elle introduit efficacement, elle contextualise sans lourdeur. Mais elle peine à devenir un moteur, à transformer des objectifs en moments forts. On avance, on débloque, on comprend, et l’on perçoit vite que l’intérêt principal est ailleurs : dans la maîtrise du système, pas dans le récit. Je ne demande pas une fresque romanesque. Je demande une campagne capable de forcer des choix, de créer des situations mémorables, de pousser le joueur à jouer autrement. Anno 117 frôle parfois cette ambition, mais reste souvent trop prudent. Les moments où l’on doit improviser, sacrifier une élégance urbaine pour sauver une économie, ou ralentir une croissance pour préserver une stabilité existent, mais ils sont trop peu structurants pour marquer durablement.

Le combat illustre bien cette prudence générale. Il est là, il fonctionne, il crée des frictions, mais il reste rarement central. On peut jouer en gouverneur pacificateur et le jeu l’accepte ; on peut fortifier, défendre, projeter une force et le jeu vous donne de quoi faire. Le problème n’est pas son existence, c’est son intégration. Par moments, les affrontements ressemblent davantage à une formalité stratégique qu’à une tension organique comparable à une crise d’approvisionnement. Le lien avec l’économie, pourtant cœur du jeu, n’est pas toujours assez fort pour que la guerre ressemble à une continuité naturelle de la gestion plutôt qu’à un module à part.

Le rythme global suit une courbe familière : installation excitante, montée en puissance, multiplication des chaînes, puis bascule vers une logistique dense et une forme de maintenance permanente. Anno 117 est excellent dans ses premières phases, et très satisfaisant au milieu, quand l’équilibre est encore un enjeu. Sur la fin, tout dépend de votre tolérance à l’entretien et à l’optimisation. L’intensité dramatique peut s’aplatir si l’on ne se fixe pas soi-même de nouveaux objectifs. Le jeu laisse davantage “gérer à son rythme”, ce qui rend l’expérience confortable, parfois trop, là où d’autres épisodes donnaient plus souvent l’impression d’une pression constante qui obligeait à se réinventer.

Au terme de l’expérience, mon jugement reste net : Anno 117: Pax Romana est un grand city builder, rigoureux, cohérent, souvent superbe, et terriblement prenant. Il modernise la formule avec intelligence, notamment par sa fluidité, sa lisibilité, et sa manière d’intégrer davantage l’identité des provinces. Il n’est pas irréprochable. Sa campagne manque de mordant, son combat reste plus utile que marquant, et son choix d’une expérience plus accueillante réduit parfois la sensation d’affronter une machine vraiment impitoyable. Mais l’essentiel, lui, est intact : le plaisir rare de construire un système qui tient, de sentir une économie respirer, de voir une ville prospérer parce qu’on l’a pensée, pas simplement parce qu’on l’a décorée. Anno 117 ne renverse pas le genre. Il l’affine, le rend plus lisible, et rappelle, avec une autorité tranquille, pourquoi la maîtrise reste l’une des plus belles récompenses du city building. Et si l’empire ne s’est pas bâti en un jour, le jeu, lui, sait très bien vous prendre bien plus qu’une soirée.