TEST – Notre avis sur Assassin’s Creed Shadows (PC)

6 Avr 2025 | TESTS / PREVIEWS, TESTS / PREVIEWS - MIS EN AVANT

Assassin’s Creed Shadows

Fallait-il que la saga Assassin’s Creed poursuive encore son expansion vers l’Est ? L’ombre d’un Japon féodal idéalisé pouvait-elle accueillir sans se fissurer les ambitions d’Ubisoft Québec ? Assassin’s Creed Shadows, sorti sur PC le 20 mars 2025, porte sur ses épaules l’héritage contrasté d’une série à la fois adulée et questionnée. Reste à savoir si ce nouvel opus parvient à transformer ses ambitions culturelles, mécaniques et narratives en un tout cohérent.

Assassin’s Creed Shadows fait le choix audacieux d’un double protagonisme : Naoe, une kunoichi affûtée comme une lame, et Yasuke, ancien samouraï noir inspiré de la figure historique du même nom. Cette alternance narrative, loin d’être un simple artifice, structure en profondeur l’expérience. Naoe incarne l’ombre, la subtilité, la vengeance silencieuse ; Yasuke, la lumière, la confrontation frontale, l’honneur blessé. Le récit, situé durant l’unification du Japon au XVIe siècle, articule leurs parcours autour d’un même axe : la lutte contre l’oppression des seigneurs de guerre et la quête d’une vérité plus intime. L’écriture des dialogues, plus resserrée et moins didactique que dans les opus précédents, confère à chaque interaction un poids dramatique. Certaines séquences entre Naoe et les membres de son ancien clan touchent à une émotion brute, tandis que les confrontations de Yasuke avec ses pairs samouraïs ouvrent une réflexion sur l’altérité et l’exil. Cette richesse thématique, bien que parfois alourdie par des moments d’exposition superflus, se marie harmonieusement à la structure ludique : chaque quête personnelle trouve son écho dans les mécaniques de jeu, chaque mission principale fait avancer un récit qui, pour une fois, ne se dissout pas dans le décor. Le cœur ludique d’Assassin’s Creed Shadows repose sur une dualité assumée entre infiltration et action, entre planification méticuleuse et combat à visage découvert. Cette scission se traduit concrètement dans la maniabilité : Naoe évolue avec souplesse, capable d’exécuter des assassinats en chaîne, d’utiliser des gadgets silencieux et d’exploiter l’environnement avec ingéniosité. Yasuke, quant à lui, impose une présence brutale : son panel de mouvements inclut des parades dévastatrices, des charges puissantes, et des enchaînements d’une rare fluidité. Le système de progression, davantage resserré, favorise des spécialisations nettes, évitant la dispersion excessive observée dans Valhalla. Les missions principales sont construites autour de structures ouvertes, permettant de choisir son approche avec une liberté réelle. La verticalité, magnifiquement exploitée dans les châteaux et les villages en terrasses, enrichit les stratégies d’infiltration. Les ennemis, dotés d’une intelligence artificielle compétente sans être brillante, réagissent de manière cohérente à l’intrusion et savent surprendre lors de phases de regroupement ou d’encerclement. On note également une gestion affinée de la furtivité, avec un système de lumière et d’ombre plus sophistiqué, ainsi qu’un indicateur de détection repensé pour plus de lisibilité sans sacrifier la tension.

L’univers visuel d’Assassin’s Creed Shadows frappe par sa densité texturale et sa cohérence esthétique. Ubisoft Québec évite l’écueil d’un Japon de carte postale et privilégie une approche sensible, inspirée des gravures ukiyo-e et des palettes saisonnières propres aux écoles de peinture nippones. Le monde respire : les rizières frémissent sous la pluie, les brumes s’enroulent autour des pagodes, les feuilles cramoisies dansent au vent d’automne. Chaque région offre une personnalité propre, du Kansai minéral au littoral d’Izu balayé par les tempêtes. La lumière, au cœur du dispositif immersif, module les atmosphères : la lueur ambrée d’un matin calme n’a rien à voir avec les éclats métalliques d’un affrontement nocturne. Les animations, quant à elles, témoignent d’un soin remarquable, notamment dans les transitions entre déplacement libre et assassinat furtif. Si certaines expressions faciales manquent encore de naturel dans les cinématiques secondaires, le visage de Naoe, notamment dans les séquences d’émotion contenue, impressionne par sa finesse expressive. L’interface, discrète et élégante, s’inscrit dans cette volonté d’intégration organique au monde diégétique. Sur le plan technique, Assassin’s Creed Shadows affiche une stabilité impressionnante. Les temps de chargement sont réduits à l’essentiel, grâce à un système de streaming progressif efficace. Toutefois, quelques bugs mineurs subsistent, principalement dans la gestion de collision des PNJ ou certaines animations de transition contextuelle. L’intelligence artificielle souffre parfois d’incohérences passagères — ennemis qui se figent, trajectoires imprévues —, sans que cela ne compromette sérieusement l’expérience. Les crashs sont rarissimes, et les sauvegardes automatiques fonctionnent de manière fluide. On salue également l’accessibilité des options graphiques, permettant une grande souplesse d’ajustement selon les configurations. L’optimisation générale, meilleure que sur les derniers opus, témoigne d’un véritable effort d’ingénierie logicielle, même si quelques textures tardives trahissent les limites du moteur Anvil.

La bande-son d’Assassin’s Creed Shadows tisse un lien profond avec son environnement. Composée par une équipe franco-japonaise, elle alterne entre percussions sèches, cordes pincées, nappes atmosphériques et silences pesants. Loin d’être illustrative, la musique sculpte les émotions, épouse les tensions, accompagne sans surligner. Les thèmes propres à Naoe empruntent à la tradition du gagaku et des compositions de koto, tandis que ceux de Yasuke puisent dans des motifs plus graveleux, presque tribaux, évocateurs de son déracinement. Le doublage, disponible en japonais, anglais et français, est d’une qualité rare : chaque langue offre une coloration spécifique au récit. La version japonaise, sobre et nuancée, renforce la vraisemblance culturelle, tandis que la version française, bien que plus théâtrale, conserve une belle tenue. Les effets sonores participent également à l’ancrage sensoriel : le crissement d’un sabre dans son fourreau, le bruit d’une sandale sur une poutre, le craquement d’un plancher usé suffisent à maintenir la tension lors des infiltrations. Ce soin du détail sonore renforce l’immersion et fait de l’écoute une dimension active de l’expérience.

D’une durée d’environ 35 heures pour la trame principale, Assassin’s Creed Shadows parvient à maintenir l’attention sans sombrer dans l’enflure narrative. Les missions annexes, resserrées autour de figures secondaires bien écrites, enrichissent le propos central sans l’étouffer. Chaque territoire dévoile des micro-récits, souvent poignants, qui donnent au monde une profondeur sociale rare. Les activités secondaires — espionnage, sabotage, restauration de temples, apprentissage de rituels anciens — s’insèrent naturellement dans la diégèse. Le jeu intègre aussi un système de choix narratifs, subtils mais efficaces, influençant certains arcs scénaristiques ainsi que les relations entre les protagonistes. Trois fins distinctes existent, chacune teintée d’ambiguïtés morales, sans tomber dans le manichéisme. Le mode « Légende », débloqué après un premier run, introduit une dimension roguelike dans certaines missions d’assassinat, renouvelant l’intérêt stratégique. Cette densité de contenu, bien calibrée, favorise une rejouabilité qualitative plus que quantitative.

Ce qui distingue Assassin’s Creed Shadows des autres épisodes récents, c’est la clarté de sa vision. Là où Odyssey et Valhalla se perdaient parfois dans une boulimie de mécaniques et une inflation de contenu, Shadows revient à l’essentiel : incarner un monde, une époque, une dualité. Le choix de protagonistes contrastés redonne souffle à une formule qui s’essoufflait. L’attention portée au contexte historique, sans basculer dans la leçon, confère au titre une assise narrative crédible. Cette capacité à intégrer des thématiques de marginalité, de loyauté, de mémoire sans lourdeur didactique inscrit Shadows dans une dynamique d’innovation sensible. Sans révolutionner le genre, il en renouvelle les codes avec une élégance rare. En regard des autres titres de la série, Shadows se situe à la croisée des chemins. Moins foisonnant que Valhalla, plus subtil qu’Origins, il rappelle parfois la rigueur d’Unity dans son architecture urbaine, ou l’approche intimiste de Syndicate dans la caractérisation de ses héros. On peut y voir un écho lointain de Tenchu dans sa gestion de l’infiltration ou de Ghost of Tsushima dans l’épure visuelle, mais sans jamais sombrer dans l’imitation. Ubisoft Québec signe ici un jeu qui affirme une singularité tout en dialoguant finement avec son propre héritage. Cette capacité à regarder en arrière sans se figer dans la nostalgie est peut-être l’un des plus beaux signes de maturité de la franchise.

Assassin’s Creed Shadows n’est ni une rupture ni un simple prolongement. Il est un recentrage. Un retour au cœur battant de la série : l’alliance entre histoire et fiction, entre geste et pensée. Sa réussite ne tient pas à un seul de ses éléments — narration, gameplay, graphisme — mais à la manière dont chacun s’accorde à l’autre, dans une cohérence qui force le respect. Il s’adresse à celles et ceux qui veulent arpenter un monde avec l’œil et l’oreille, la main et l’esprit. Un monde où l’on ne se contente pas de voir, mais où l’on apprend à regarder. Assassin’s Creed Shadows est de ces jeux qui laissent une empreinte durable, parce qu’ils ont quelque chose à dire — et qu’ils le disent bien.