Borderlands 4
On reconnaît les grandes séries à leur manière de survivre à leurs propres excès. Borderlands a toujours dansé sur le fil entre l’exubérance jouissive et la saturation épuisante, entre la jubilation d’un gunplay réglé au millimètre et le chaos d’un carnaval de loot. Avec Borderlands 4, Gearbox tente enfin une mue attendue : un monde ouvert unifié, des mouvements modernisés, un ton plus adulte qui filtre l’humour sans l’étouffer. On débarque sur Kairos, planète-prison placée sous la coupe doctrinaire du Timekeeper, et l’on comprend très vite que la série cherche à s’agrandir sans se renier. Le cycle tirer–looter–façonner son build reste le cœur battant du jeu, mais il s’étire cette fois dans un écrin plus vaste, plus vertical, plus ambitieux. C’est là que réside la réussite éclatante de ce quatrième opus, mais aussi ses limites, car plus que jamais la franchise se heurte aux contours de ses contradictions.
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Visuellement, le jeu impressionne. Le cel-shading, assoupli par l’éclairage global, conserve la netteté des silhouettes tout en gagnant une chaleur inédite dans les panoramas. Certaines vallées écrasées de soleil ou certains ciels crépusculaires traversés de poussière rappellent que la série n’a pas besoin d’un photoréalisme pour imposer une atmosphère. Pourtant, derrière cette générosité d’images, la technique peine parfois à suivre. Les effets abondants, la densité géométrique, la profusion de particules font ployer la fluidité au moment même où l’on s’émerveille de la beauté du tableau. Même sur des machines solides, on sent le moteur hésiter, comme si la splendeur du décor avait été payée au prix d’un rythme de jeu moins régulier. Cette tension entre ambition visuelle et stabilité accompagne toute l’aventure : jamais rédhibitoire, mais assez sensible pour rappeler que l’expérience PC n’est pas encore parfaitement polie. Cela ne brise pas l’immersion, mais brouille par moments la continuité d’un spectacle qui, à son meilleur, reste grandiose.
Le choix du monde ouvert suit la même logique d’ampleur. Kairos est vaste, ses zones s’enchaînent sans couture, ses points d’intérêt dessinent une carte riche en détours. On savoure le plaisir de la découverte, mais l’organisation rappelle immanquablement le modèle des “checklists” modernes : avant-postes à libérer, relais à activer, activités récurrentes à compléter. L’efficacité est là, l’amusement aussi, mais l’émerveillement se dilue dans la répétition. Après quelques dizaines d’heures, on mesure que la diversité des environnements ne suffit pas toujours à masquer une structure qui, derrière ses atours d’open world, reste d’une grande prudence. Le voyage est plaisant, mais rarement surprenant, et l’on sent que la série, en cherchant à embrasser un espace plus large, a perdu une part de son tranchant dans la composition des moments forts.
Côté récit, la correction est manifeste. L’écriture s’est débarrassée d’une partie des excès qui plombait l’épisode précédent. Le ton est moins criard, l’humour mieux dosé, et l’ensemble respire davantage. Ce n’est pas pour autant que l’histoire brille. Le Timekeeper, antagoniste central, peine à marquer les esprits. Sa tyrannie méthodique donne une couleur au décor, mais elle n’engendre ni répliques mémorables ni scènes qui resteront gravées. Les figures connues font leur retour avec un plaisir certain, mais sans réelle surprise. On traverse la campagne plus par goût de la fusillade et de l’accumulation que pour la dramaturgie. Ce n’est pas un désastre, simplement une ambition narrative qui s’arrête avant d’atteindre les hauteurs espérées.
La progression illustre ce compromis. Le jeu maintient un niveau de tension suffisant grâce à un système de mise à l’échelle qui évite la banalisation de l’adversité, mais il oblige aussi à s’investir dans des activités secondaires pour ne pas se retrouver en difficulté dans les derniers chapitres. Rien de scandaleux dans un RPG-looter, mais le rythme peut sembler forcé, surtout pour ceux qui espéraient filer droit vers la conclusion. Les pics de difficulté, parfois abrupts, rappellent au joueur que l’on ne franchit pas cette campagne en roue libre. C’est exigeant sans être insurmontable, mais cela crée une relation ambivalente avec les quêtes secondaires, tantôt bienvenues, tantôt vécues comme une contrainte mécanique. Là encore, le jeu ne trahit pas sa vocation, mais il l’assume de façon moins élégante qu’on l’aurait souhaité.
C’est une fois l’arme en main que Borderlands 4 reprend toute son assurance. Le gunplay est au sommet de la série. Les sensations de tir sont plus variées, plus franches, plus physiques. La signature des fabricants est mieux dessinée que jamais, et le nouveau système de pièces autorise des hybridations inattendues qui relancent sans cesse la curiosité. Le joueur retrouve ce plaisir enfantin de ramasser une arme au hasard et de découvrir que son comportement bouleverse soudain son style de combat. La cadence des échanges de feu, la précision des impacts, l’exubérance des explosions : tout contribue à faire de la fusillade un spectacle jubilatoire, qui justifie à lui seul les heures accumulées.
Les mouvements participent de cette modernisation. Le double saut, la glissade, le grappin et le planeur ouvrent de nouvelles dynamiques d’affrontement. Les arènes gagnent en verticalité, les duels en nervosité, et certains passages se transforment en véritables chorégraphies d’élans et de ricochets. Le jeu retrouve par moments la fougue d’un shooter plus acrobatique, plus joueur, qui ne se contente pas de vous faire tirer, mais vous invite à danser dans le chaos. Ces apports, attendus depuis longtemps, transforment subtilement la respiration du jeu et renouvellent un plaisir qui, dans la série, pouvait parfois se scléroser.
Les quatre nouveaux Chasseurs de l’Arche prolongent cette logique. Chacun incarne un style distinct, chacun offre trois arbres de compétences suffisamment contrastés pour multiplier les combinaisons, et chacun incite à recommencer l’aventure pour explorer d’autres synergies. On sent que Gearbox a cherché à offrir une profondeur qui récompense l’expérimentation. Le respec est accessible, les spécialisations suffisamment marquées pour donner envie de recommencer. On retrouve cette excitation de “refaire” un personnage non par obligation, mais par appétit. Le buildcrafting devient une discipline en soi, une recherche de l’équilibre parfait ou du chaos assumé, et le jeu y trouve une rejouabilité naturelle.
Dans ce cycle de loot, l’économie du butin retrouve un équilibre qu’on n’avait plus senti depuis longtemps. Les Légendaires pleuvent assez pour entretenir l’adrénaline, mais pas au point d’annuler la rareté. Le vendeur reste une étape d’appoint, pas une solution, et la montée en puissance se vit par paliers, chaque nouveau fusil, chaque nouveau mod devenant une petite victoire. Les systèmes annexes, des cartes à thèmes aux missions plus compactes, dessinent une trajectoire post-lancement claire. L’endgame n’est pas révolutionnaire, mais il offre une base suffisamment robuste pour prolonger l’investissement. On imagine sans mal qu’avec les mises à jour promises, cette ossature trouvera de quoi s’étoffer.
Si la technique pure s’invite ici, c’est parce qu’elle colore forcément la gestion de cette économie. Les ralentissements, plus fréquents dans les zones saturées d’effets, alourdissent l’évaluation du butin. L’inventaire, surtout, devient un obstacle. L’interface peine à accompagner la richesse du loot : tri confus, filtres capricieux, comparaisons laborieuses, objets équipés mélangés aux trouvailles récentes. On passe trop de temps à lutter contre une ergonomie qui devrait fluidifier la décision. L’expérience PC, qui pourrait magnifier la précision et la lisibilité, se trouve parasitée par une interface lourde et par des micro-saccades qui cassent l’élan. C’est là que la technique et l’ergonomie se rejoignent pour rappeler que le jeu, derrière ses réussites mécaniques, n’est pas encore totalement à la hauteur de ses ambitions.
La coopération, en revanche, conforte la vocation de la série. Le cross-play fonctionne sans heurts, l’instanciation du loot et le scaling par joueur assurent un équilibre qui permet à chacun de trouver sa place, quel que soit son niveau. Le drop-in/out est fluide, le partage de loot plus souple, et l’on retrouve cette complicité immédiate qui fait des soirées coop un terrain de jeu idéal. Les petits défauts de fluidité persistent, mais ils se diluent dans le plaisir partagé. Borderlands reste à son meilleur quand il se vit à plusieurs, et ce quatrième épisode en est la preuve éclatante.
Au terme de ce voyage, le constat est clair. Borderlands 4 offre le meilleur gunplay de la série, une modernisation bienvenue de ses mouvements, un système de build d’une richesse nouvelle et une économie de loot mieux calibrée. Il échoue en revanche à transcender la formule de l’open world, reste timide dans sa narration, et trébuche sur une interface indigne de sa générosité ludique. Sur PC, la beauté du spectacle est parfois brouillée par une technique encore instable. Rien qui empêche d’y plonger, mais assez pour ternir l’expérience idéale que l’on espérait. Le verdict rejoint l’avis général : un excellent looter-shooter, porté par une base mécanique irrésistible, mais prisonnier de scories qui l’empêchent d’être la démonstration définitive qu’il ambitionnait. Quand le jeu se met au diapason, il joue fort, juste et longtemps. C’est déjà beaucoup, mais on sait qu’il pourrait jouer encore plus juste.