TEST – Notre avis sur Death Stranding 2: On the Beach (PS5)

26 Juin 2025 | TESTS / PREVIEWS, TESTS / PREVIEWS - MIS EN AVANT

Death Stranding 2: On the Beach

Qu’est-ce qu’un jeu peut encore oser, lorsque le monde qu’il prolonge semble avoir tout dit ? Que peut proposer Hideo Kojima, sinon une suite qui ne répète ni ne rompt, mais qui déplace, reconfigure, désaxe ? Avec Death Stranding 2: On the Beach, le créateur japonais ne signe pas simplement un deuxième volet : il orchestre une métamorphose. Un passage. Une réinvention silencieuse. Le jeu n’est pas l’ombre d’un premier succès : il est sa résonance amplifiée. Sam n’est plus simplement un porteur : il est une mémoire. Lou, une pulsation. Et le monde, un théâtre d’intimités à reconstruire.

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Death Stranding 2 bouleverse le rythme habituel du jeu vidéo. Il ralentit, il découpe, il ritualise. Matins de préparation, après-midis de tension, nuits de repli. Ce cycle n’est pas une mécanique : c’est un souffle. Un battement d’organisme. L’échec devient fécond. Le recommencement, un acte de foi. Norman Reedus incarne un Sam métamorphosé : moins héros qu’homme, moins porteur qu’empreinte. Sa gestuelle alourdie, son regard parfois perdu, sa voix brisée par les silences — tout respire la sincérité d’un corps fatigué mais encore debout. Il faut néanmoins accepter une narration plus éclatée, plus diffractée, dont certaines séquences dialoguées ou introspectives s’étirent parfois au risque d’un trop-plein d’exposition. Le jeu choisit souvent de s’écouter penser, au risque d’enliser son propre rythme — mais dans cette lenteur volontaire, certains trouveront une forme d’honnêteté radicale. Et puis Lou. Elle n’est plus un mystère narratif. Elle est un battement. Une onde. Elle incarne ce que le jeu a de plus rare : la foi en ce qui ne se dit pas. En elle, toutes les tensions du jeu se nouent. Elle n’est ni solution, ni but. Elle est présence. Et c’est sans doute là que Kojima touche au sublime : en faisant du lien un vertige, un tremblement, une beauté sans contour. Lou ne guide pas. Elle hante. Elle informe chaque geste, chaque renoncement, chaque marche dans le sable. Autour d’elle, les autres figures ne gravitent pas en satellites, mais en énigmes, éclats de récits plus larges.

Les figures qui l’entourent — Fragile, Tomorrow, Rainy — ne sont pas des adjuvants narratifs, mais des énigmes sensibles. Léa Seydoux, dans une performance toute en retenue, glisse dans le récit comme une ombre de tendresse armée. Elle Fanning incarne Tomorrow avec une grâce étrange, entre enfance et oracle. Shioli Kutsuna fait de Rainy une ligne de tension pure. Ces personnages ne guident pas : ils aimantent, désorientent, déplacent. Les dialogues sont des silences en devenir. Les gestes parlent plus que les mots. L’ensemble du casting forme un chœur implicite, une polyphonie de blessures à peine cicatrisées. La présence de célébrités issues d’autres horizons culturels (comme George Miller) enrichit cette constellation narrative, même si leur rôle reste parfois plus emblématique que profondément incarné. Cette esthétique du masque, de la présence signée, dit quelque chose du jeu lui-même : un kaléidoscope de visages aux fonctions plus symboliques qu’intimement dramaturgiques.

Visuellement, On the Beach est un chef-d’œuvre de cohérence. L’univers tarpunk, fait de matières nouées, de toiles claquantes et d’artefacts précaires, compose une esthétique de la survie magnifique. Chaque paysage est un poème plastique. Les éclairages naturels sculptent le vide. Les ruines, les crevasses, les silences architecturaux racontent mieux que mille expositions. La caméra, toujours discrète, choisit de contempler plutôt que d’imposer. Elle laisse respirer les émotions. Elle offre un espace au regard. Pourtant, on peut parfois regretter une certaine rigidité dans la transition entre séquences cinématographiques et phases de jeu, comme si le jeu peinait à fondre toutes ses formes en une seule matière continue. Cette segmentation — cinématique ici, gameplay là — rappelle que malgré son ambition fusionnelle, Death Stranding 2 demeure aussi un jeu aux frontières perceptibles, où l’illusion de continuité se heurte parfois à ses propres coutures. Techniquement, le jeu est une démonstration d’exigence. Temps de chargement inexistants, fluidité constante, maîtrise du retour haptique : tout dans la version PS5 respire la précision. Les rares bugs sont des éclats discrets, vite absorbés par la densité du monde. Le DualSense devient une interface d’émotion. Il ne transmet pas seulement des chocs : il vibre d’intention. Seule l’interface, parfois dense et rigide, peut troubler les premiers instants de navigation, rappelant que l’ergonomie n’a pas toujours été pensée pour la fluidité immédiate. Ces accrocs, bien que minimes, contrastent avec l’extrême sensorialité du reste de l’expérience.

Là où le premier opus érigeait la logistique en dogme, celui-ci fait de la fragilité un langage. À travers les plaines brûlées d’Australie ou les dunes spectrales du Mexique, le joueur n’avance plus en conquérant, mais en poète égaré. Chaque relief, chaque inclinaison, chaque bourrasque devient une ponctuation. Le terrain n’est plus une donnée, il est un récit. La météo dynamique, les pluies acides, les tempêtes imprévues et les mouvements du sol composent une partition mouvante, exigeante. Le gameplay de traversal atteint ici une forme d’osmose avec le corps : la DualSense ne simule pas — elle incarne. Elle transforme le joueur en prolongement du terrain, en lecteur de matière. Et si certaines mécaniques de déplacement rappellent beaucoup le premier opus, leur intensité sensorielle renouvelée rend chaque trajet plus incarné, plus intime. C’est moins une redite qu’une relecture incarnée — là où certains verront une familiarité, d’autres percevront une variation sur le même souffle, densifiée, alourdie par le temps. La musique n’est pas un fond. Elle est une peau. Woodkid, Ludvig Forssell et Caroline Polachek ne composent pas des morceaux, mais des nappes de mémoire. Le sound design frôle la perfection : chaque pas, chaque frémissement, chaque craquement d’armature raconte quelque chose de l’instant. Rien n’est là pour flatter. Tout est là pour éprouver. On reconnaît un passage, non par sa géographie, mais par l’écho qu’il laisse en nous. Certains morceaux semblent surgir du sol, d’un souvenir ou d’une absence, et colorent l’instant d’une mélancolie presque tectonique.

Le système de combat n’est jamais une fin. Il est un sursaut, un déséquilibre. Les mécaniques ont été étoffées sans être alourdies. Le positionnement, l’écoute du terrain, le choix de ne pas frapper deviennent des actes signifiants. Les mechs, figures de guerre industrielle, imposent un respect lourd, presque sacré. Il ne s’agit pas de vaincre, mais de faire cesser, de suspendre. Comme si le combat était une respiration brisée dans le flux du monde. Kojima ne glorifie rien : il ralentit la violence pour en révéler l’absurde gravité. Et même si l’ensemble du système reste moins profond que d’autres productions focalisées sur le gameplay pur, c’est par sa rareté et sa signification qu’il marque. Certains moments de confrontation semblent moins penser l’action que l’impact qu’elle produit. Le joueur ne cherche pas la victoire — il mesure la cassure.

La composante multijoueur asynchrone retrouve ici une pudeur bouleversante. Les objets laissés par d’autres joueurs ne sont plus des aides — ils sont des signes. Des fragments d’existence. Une corde tendue devient une main invisible. Une structure abîmée, un témoignage muet. C’est une forme de langage sans locuteur, une poésie du passage humain. Cet aspect reste fidèle à l’esprit du premier volet, tout en l’approfondissant avec une élégance plus discrète, comme un chuchotement solidaire entre solitudes. Le jeu semble dire : « je suis passé par là » — et rien n’est plus émouvant que ce simple aveu déposé dans la roche.

Death Stranding 2: On the Beach n’est pas un jeu de plus. Il ne se mesure ni en exploits, ni en contenus. Il se respire, se traverse, s’éprouve — comme un paysage, comme un deuil, comme une question laissée ouverte. Ce n’est pas un divertissement au sens léger, mais une expérience transversale, sensorielle, méditative. Il est lent parce qu’il écoute. Il est exigeant parce qu’il respecte. Il est obscur, parfois, parce qu’il ne cherche pas à convaincre mais à faire advenir. Il ne nous demande pas de jouer, mais d’être là — corps et esprit.Rien dans On the Beach n’est laissé au hasard, même l’errance. Sa rugosité est une forme de politesse. Sa lenteur, un engagement. Kojima n’offre pas un monde à sauver, mais une question à porter : que reste-t-il, quand il ne reste rien ? Que vaut une marche, si elle ne mène nulle part — sinon à l’autre, ou à soi ?

Ceux qui cherchent un souffle d’action calibrée, une progression balisée, une narration autoritaire, y verront un labyrinthe sans centre. Ceux qui accepteront de se perdre y trouveront peut-être une vérité rare : le jeu comme rituel d’attention, comme espace de mémoire partagée, comme forme de deuil sans fin et d’amour sans bord.Et c’est peut-être cela, au fond, le plus beau geste de Kojima : avoir imaginé, au cœur d’un médium saturé de systèmes, de cycles et de performances, un lieu vide, offert, nu — une plage où rien ne commence, rien ne finit, mais où quelque chose insiste. Un battement. Une empreinte. Une attente fertile.