DOOM : The Dark Ages
Qu’arrive-t-il lorsqu’un studio maître de la frénésie interactive se décide à réinterpréter son propre mythe, non pas en le déplaçant dans l’avenir, mais en le projetant dans un passé métaphysique, féroce et gothique ? Avec DOOM : The Dark Ages, id Software n’ajuste pas simplement la lunette de son fusil de chasse. Il pulvérise le spectre de ses anciens titres pour réarchitecturer la légende du Doom Slayer comme une œuvre totémique. Le résultat ? Une odyssée organique et barbare, à la croisière entre l’archaïsme fantasmatique et l’ultra-modernité de l’exécution technique.
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C’est sur le terrain du gameplay que The Dark Ages impose sa force la plus pure. La boucle de jeu classique de DOOM — mouvement, tir, exécution — se voit ici densifiée par une couche supplémentaire de tactilité et de rythme. L’introduction de la parade modifie radicalement le tempo des affrontements : chaque engagement devient un duel implicite, une négociation brutale entre initiative et patience. Réussir une parade au moment juste ouvre des fenêtres de contre-attaque dévastatrices, tout en renforçant l’immersion dans une posture de prédation contrôlée. Le jeu intègre également un ensemble d’options d’accessibilité détaillées — ajustement de la difficulté, ralentissement des projectiles, calibration des timings — permettant à chacun de s’approprier le rythme de la violence selon ses propres réflexes. L’arsenal est à l’image de son héros : baroque, violent, hiérarchisé. La scie-bouclier, invention emblématique de cet opus, conjugue la fureur offensive à la stratégie défensive dans un ballet d’acier et de sang. Chaque arme a sa grammaire propre, son rôle dans la symphonie du carnage. Les ennemis, eux, ne sont plus des cibles mais des énigmes mobiles, forçant à adapter constamment son positionnement, son arsenal, son tempo. L’IA se montre agressive sans être injuste, punitive sans sombrer dans l’arbitraire. Les affrontements deviennent des danses sanglantes, où l’on ne subit pas le chaos : on le compose.
La construction des niveaux fait preuve d’une rigueur chirurgicale. Abandonnant les écarts labyrinthiques de DOOM Eternal, The Dark Ages opte pour une verticalité contrôlée, mieux scandée, où chaque arène est un échiquier cruel. Les arènes sont ici plus ramassées, plus denses, parfois moins labyrinthiques mais plus expressives dans leur verticalité et leur lisibilité. L’enchaînement des missions tisse une progression rythmée, où la densité de l’action laisse respirer de courts instants contemplatifs — ruines silencieuses, sanctuaires abandonnés, bastions flottants. Les niveaux recèlent aussi leur lot de secrets, d’autels cachés, de défis annexes qui prolongent l’exploration au-delà de la pure extermination. Certaines séquences plus spectaculaires — notamment celles mettant en scène le mécha Atlan ou le dragon cybernétique — offrent des ruptures de rythme bienvenues. Toutefois, leur gameplay moins impliqué, plus dirigiste, les empêche d’atteindre la même densité que les séquences au sol. Elles illustrent l’ambition visuelle du titre mais rappellent que la quintessence de DOOM demeure dans la confrontation directe. La campagne principale propose environ 16 à 18 heures de jeu, scandées par une quinzaine de niveaux denses et généreux. L’absence de mode multijoueur ou de contenu asynchrone est ici moins un manque qu’une affirmation d’intention : The Dark Ages est une expérience monolithique, un monolithe sanglant que l’on affronte seul, les yeux grand ouverts. Les contenus annexes (challenges de combat, sanctuaires cachés, journaux cryptiques) ajoutent une couche de profondeur et invitent à la redécouverte. L’absence de chemins multiples ou de fins alternatives ne bride pas la rejouabilité, car chaque retour permet une lecture différente du tempo, de l’efficacité, du style.
Graphiquement, le titre est un opéra d’ombres et de lumières. L’id Tech 8, dans sa version PC, déploie ici une puissance de rendu éblouissante, capable de conjuguer des textures ciselées, des effets volumétriques subtils et une densité d’environnement remarquable. Chaque lieu est une peinture mouvante, un condensé de grotesque sacré où se mêlent ossuaires cyclopéens, machines divines, cathédrales fracturées. L’univers visuel de The Dark Ages n’est pas simplement cohérent : il est visionnaire. Il convoque des références aussi bien à Giger qu’à John Blanche, sans jamais se réfugier dans le maniérisme. Les animations suivent la même exigence. Les Glory Kills, toujours au cœur de l’expérience, sont ici chorégraphiés avec une inventivité renouvelée. Chaque crâne éclaté, chaque membre arraché, s’inscrit dans une danse macabre où la répétition est brisée par une variation d’angles, de vitesse, de contextes. Sur PC, The Dark Ages s’affiche comme un modèle d’optimisation. Même dans les séquences les plus chargées — nuées d’ennemis, effets particulaires, méchas en action —, le framerate ne fléchit pas. Le moteur encaisse la fureur sans sourciller, grâce à un travail impressionnant sur le threading et la gestion de la mémoire vidéo. Les temps de chargement sont quasi instantanés sur SSD NVMe, permettant une continuité de l’expérience fluide et sans accroc. Quelques bugs mineurs persistent, notamment dans les collisions des entités les plus massives, mais rien qui ne vienne briser le pacte d’intensité entre le joueur et le jeu. Le titre prend aussi en charge les écrans ultra-larges et les technologies DLSS/FSR sans compromis visuel.
Le travail sonore, quant à lui, est proprement dantesque. La musique, composée par Finishing Move, abandonne les riffs épileptiques des anciens volets pour une approche plus tribale, plus pesante, où les percussions primitives épousent les nappes synthétiques dans une alchimie mystique. Chaque combat est porté par une pulsation sonore qui évoque davantage une transe sacrificielle qu’un simple accompagnement. Les bruitages participent pleinement à l’immersion : les chocs métalliques de la scie sur les os, le souffle des bêtes, les gargarismes infernaux d’ennemis à l’agonie sont restitués avec une granularité sonore qui confine à la synesthésie. Les voix, rares mais parfaitement posées, ajoutent une couche de solennité mystique, sans jamais briser la cadence de jeu.
Loin de la simple justification à la tuerie, l’histoire de The Dark Ages s’impose dès les premiers instants comme une trame à la fois mythologique et viscérale. Le Doom Slayer n’est plus ici un simple exorciste de l’enfer technologique, mais un héraut divin au service de rois mourants et de dieux silencieux. Le jeu orchestre un récit circulaire, déployé par fragments à travers les cinématiques sobres, les inscriptions murales et les actions mêmes du protagoniste, dont chaque déplacement, chaque exécution raconte l’état du monde. Ce ne sont pas les dialogues qui guident l’attachement, mais la densité du contexte, la symbolique des affrontements et les silences lourds des zones sanctuarisées. Le travail sur la figure du Slayer atteint ici une épaisseur inédite. Sa brutalité se déploie comme une forme de deuil ininterrompu, une haine rituelle qui révèle une architecture narrative en strates, où chaque boss n’est pas simplement un obstacle, mais le vestige tragique d’un monde en perdition. Sa solitude se teinte d’une mélancolie silencieuse, trahissant une humanité réprimée par la violence de sa mission sacrée. L’humanisation du Slayer, à travers certains choix de mise en scène, densifie le récit au-delà de la simple figure martiale. Là où DOOM Eternal poussait l’hypertechnicéité jusqu’à l’épuisement, The Dark Ages réinvente la franchise en cassant la frénésie automatique au profit d’une brutalité méditée. On y retrouve des échos à Sekiro dans la logique de parade, à Dark Souls dans la mise en scène du déclin, mais sans jamais singer leurs modèles. Le jeu trace sa voie, entre classicisme doomien et sacralisation de la violence. Il débarrasse la série de ses oripeaux post-industriels pour l’ancrer dans une temporalité mythologique.
DOOM : The Dark Ages n’est pas simplement un très bon jeu d’action. C’est une pièce maîtresse d’une nouvelle manière de penser la violence interactive : non comme une surenchère gratuite, mais comme une grammaire à déployer avec précision, rigueur, imagination. Il s’adresse à celles et ceux qui veulent ressentir, non subir ; composer, non réagir. Il ne s’achète pas pour tuer le temps, mais pour l’habiter pleinement. Ce que j’en retiens, au-delà de l’adrénaline et du sang, c’est une méditation barbare sur la perte, la puissance et la mémoire. Une fresque à la fois brutale et poétique, qui laisse une empreinte aussi profonde que les cratères laissés par le Slayer sur le front des démons.