TEST – Notre avis sur Everdeep Aurora (PC)

13 Juil 2025 | TESTS / PREVIEWS

Everdeep Aurora

Il y a des jeux qui avancent à découvert, front levé, armature visible, logique transparente. Ils affirment leur présence par l’exposition de leurs systèmes, leur agencement, leur promesse. Et puis il y a ceux qui choisissent le retrait. Des jeux qui parlent en creux, qui s’installent dans le murmure plutôt que dans la déclaration. Everdeep Aurora, développé par Nautilus Games et publié par Ysbryd Games, appartient à cette seconde famille : celle des jeux qui ne se montrent pas, mais se laissent traverser, lentement, à condition qu’on accepte de les écouter depuis le fond.

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On y incarne Shell, une petite chatte anthropomorphe, solitaire, démunie, en quête de sa mère disparue. Mais Everdeep Aurora ne parle jamais vraiment de maternité, ni de famille, ni de drame. Ce qu’il explore, c’est la mémoire du monde quand il ne reste plus personne pour la transmettre. Ce n’est pas un jeu narratif. C’est une topographie émotionnelle. Un palimpseste jouable. Il ne faut que quelques secondes pour comprendre que Everdeep Aurora ne respectera aucune des conventions dramatiques habituelles. Pas de cinématique d’introduction. Pas d’exposition. Pas de flashback explicatif. Shell se tient là, dans un désert post-météoritique, sans explication. Et l’on descend. La descente n’est pas métaphorique. Le jeu se structure autour d’un monde vertical, un gouffre doux dans lequel s’enchaînent des biomes aux identités plastiques fortes : égouts décrépis, ruines végétales, temples cristallins, bars souterrains, vestiges de laboratoires. On ne traverse pas ces lieux pour y vaincre quoi que ce soit, ni pour y réparer une quelconque faille. On y passe. On y écoute. Parfois, on aide. Souvent, on comprend trop tard.

La narration est entièrement fragmentaire. Pas de récit structuré. Des bribes. Des dialogues suspendus. Des fragments de folklore souterrain émergeant au détour d’une conversation avec un PNJ en forme de crapaud, de rat, de loutre. Tous ont des noms. Tous ont des histoires. Mais aucun n’a d’enjeu. Ils sont là. Ils vivent. Ils nous parlent. Et puis ils nous laissent continuer. Il arrive que ces personnages répètent les mêmes répliques lorsqu’on les revoit, comme si leur mémoire tournait en boucle. Une bourrasque verbale immobile, troublante, qui peut agacer, mais qui, aussi, évoque le ressassement cyclique de vies enfermées dans un espace trop petit. Le plus remarquable dans cette écriture, c’est son refus absolu de la dramaturgie imposée. Le jeu ne tente jamais de forcer une trajectoire émotionnelle. Il laisse les choses exister. Il n’encadre pas. Il archive sans hiérarchie. Un souvenir d’enfance évoqué par une IA détraquée vaut autant qu’une carte d’ascenseur qu’on ne pourra utiliser qu’une heure plus tard. Rien n’est prioritaire. Tout est là. C’est au joueur de trier, de décider ce qu’il emporte ou non avec lui.

La mécanique centrale d’Everdeep Aurora, c’est le forage. Shell possède une foreuse – un outil banal, grossier, presque trop mécanique pour le reste du jeu. Elle l’utilise pour percer les parois fragiles, accéder à des zones enfouies, contourner les impasses. Mais cette foreuse n’est pas une extension de puissance. Elle est un instrument de dépense. Chaque usage consomme de l’énergie – la fameuse Duracite. Il est possible d’en accumuler, de la recharger à des bornes, de trouver des cristaux dans le monde. Mais elle finit toujours par manquer. Et le jeu n’interdit pas de creuser à vide : il ralentit. Il fatigue. Il fait du forage une résistance.

C’est là que réside l’intelligence du système. Là où la plupart des jeux construisent une boucle gratification / puissance, Everdeep Aurora érige une économie du manque. Forer devient un choix moral, presque existentiel. Est-ce que je passe ici, sachant que je risque de tomber dans une zone sans issue ? Est-ce que je remonte chercher de la Duracite, au risque de me perdre ? Est-ce que je continue, malgré le rythme qui s’effondre ? Le jeu transforme une mécanique basique en tension lente et persistante. Les améliorations sont rares. Un wall-jump, une paire de bottes. Plus tard, des lunettes permettant de voir des chemins cachés. Un jetpack rudimentaire confié par un compagnon temporaire. Mais aucun de ces outils ne renverse la logique du jeu. Ils ouvrent des options, pas des solutions. Everdeep Aurora ne déploie pas une montée en puissance. Il déploie un réseau d’embranchements de plus en plus étroits.

Le jeu propose une carte. Elle est minimaliste. Monochrome. Semi-interprétative. Elle signale les zones visitées, les stations de sauvegarde, quelques points d’intérêt. Mais elle ne montre pas les chemins. Elle n’indique pas les niveaux. Elle ne permet pas de noter. Pas de journal de quête. Pas de marqueur personnalisé. On s’oriente à la mémoire, à la reconnaissance sensorielle, à la répétition. À noter qu’après une session, les trajets que l’on a creusés peuvent disparaître visuellement de la carte, ce qui oblige à une réappropriation mentale des lieux, à une relecture active, voire parfois à une errance involontaire. Ce choix, qui pourra rebuter certains, est fondamental dans la proposition esthétique du jeu. Le level design est un organisme, pas un plan. Il s’étend comme une ville souterraine mal cartographiée. Les biomes se chevauchent. Certains se contredisent. Il y a des couloirs sans issue, des ascenseurs qui ne fonctionnent que dans un sens, des murs apparemment scellés. Mais l’ensemble n’est pas arbitraire. Il est lisible à celui qui accepte de relire. Et cette relecture prend du temps. Beaucoup de temps. Parce que chaque descente est une mise en péril. Il n’y a pas de retour automatique. Pas de corde magique. Il faut retrouver un camp. Dormir. Sauvegarder. Le voyage est une exposition lente à la perte. Perte d’énergie, perte de repères, perte de direction. Mais cette perte est féconde. Elle construit une relation presque affective avec le terrain.

On l’a dit, Everdeep Aurora n’a pas été conçu pour séduire. Pourtant, c’est un des jeux les plus beaux de l’année. Mais sa beauté est à rebours des standards habituels. Elle ne surgit pas. Elle s’installe. La direction artistique repose sur une logique de palette restreinte par zone. Chaque biome a son ambiance chromatique : verts liquéfiés des égouts, rouge brique des anciens bunkers, bleu électrique des couloirs cristallins. Ces palettes ne cherchent jamais le contraste tape-à-l’œil. Elles s’infusent. Elles s’évaporent. Le pixel art est précis, mais jamais démonstratif. Les personnages sont dessinés avec peu de détails. Shell, notamment, tient dans une poignée de pixels. Mais son animation est riche : ses oreilles bougent. Sa posture varie. Elle regarde, s’arrête, hésite. Elle n’exprime rien, mais elle suggère tout. Le jeu ne fait aucun usage spectaculaire de l’espace. Pas de panoramas. Pas de scènes d’ensemble. Chaque lieu est un cadre clos. Loin d’une ambition cinématographique, Everdeep Aurora choisit la logique du fragment. Chaque écran est un détail. Chaque détail est un monde.

Le son, dans Everdeep Aurora, ne signale pas. Il ne récompense pas. Il entoure. La foreuse vrombit. Les pas résonnent. Le vent souterrain circule. Les musiques sont diffuses, atmosphériques, souvent à la limite du silence. Quelques nappes synthétiques, des harmonies dissonantes, des glissements presque imperceptibles. Il n’y a jamais de changement brutal. Pas de variation dramatique. Le jeu refuse toute emphase. Même les zones de tension ne produisent pas de crescendo. Le sound design construit une matrice perceptive, pas une ambiance émotionnelle. Ce n’est pas une musique qui accompagne : c’est un son qui respire en nous. Et quand il se tait — car il se tait souvent — c’est le monde qui prend la parole. Le silence devient outil de mesure. De présence. D’attente.

Les PNJ d’Everdeep Aurora sont nombreux. Ils ne servent pas de hubs. Ils ne distribuent pas de quêtes à proprement parler. Ils sont là. Ils parlent. Ils vivent. Certains demandent une fleur. D’autres cherchent une clé. Certains n’ont rien à offrir. Un petit jeu de dés, une machine à pince, ou une ligne de pêche peuvent parfois émerger à la marge du monde, comme des poches de légèreté soudainement ouvertes. Ces respirations — mentionnées avec justesse par la critique — offrent une parenthèse bienvenue dans l’effort de creusement. Mais chacun d’eux est une trace, une faille dans le silence, un écho d’humanité animale. On rencontre un enfant qui cherche son frère. Un oiseau fatigué par la répétition des jours. Un forgeron qui ne dit rien, mais améliore les outils si on le comprend. Aucun de ces personnages n’existe pour nous servir. Ils sont le monde tel qu’il est devenu : réduit, résilient, modeste.

Aucune fausse note technique. Le jeu tourne parfaitement sur PC, sans crash, sans ralentissement, avec une lisibilité constante. L’interface est claire, minimaliste. L’optimisation est excellente, notamment sur Steam Deck. La traduction française est fluide et sobre. Le silence, enfin, est respecté : pas de doublage, pas d’emphase vocale. Le texte porte la voix. Et c’est amplement suffisant. Il faut cependant noter que la caméra, lors de certaines descentes rapides ou de transitions entre niveaux, peine parfois à suivre la cadence. Ces instants de flottement, bien que rares, peuvent briser la continuité visuelle et accentuer le sentiment d’inconfort spatial — une imperfection qui, là encore, ne vient pas ruiner l’expérience, mais en rappelle la matérialité volontairement imparfaite.

À la fin, Everdeep Aurora laisse une empreinte. Non pas celle d’un exploit, ni celle d’un accomplissement mécanique, mais celle, plus rare, d’une rencontre esthétique pleinement habitée. C’est un jeu qui ne cherche ni l’adhésion rapide, ni l’excitation facile. Il préfère le détour, le silence, la fragilité. Et dans cette fragilité se niche sa plus grande force. Oui, Everdeep Aurora est un jeu que j’ai aimé. Profondément. Non pas pour ce qu’il donne immédiatement, mais pour ce qu’il laisse reposer, doucement, en moi. J’y ai trouvé une forme d’attention rare : au geste, à l’écoute, à la lumière. Une économie du regard. Un soin du rythme. Un respect du joueur comme sujet sensible. Ce n’est pas un jeu parfait : il est lent, il peut désorienter, il demande plus qu’il ne guide. Mais il tient quelque chose de rare : une cohérence intime entre forme et fond, entre système et sensation. Et cette cohérence, dans un monde de jeux bavards et démonstratifs, est précieuse. Everdeep Aurora n’est pas simplement un bon jeu indépendant. C’est une œuvre juste. Une œuvre humble. Une œuvre forte. Et de celles-là, il n’y en a pas tant.