TEST – Notre avis sur Fretless – The Wrath of Riffson (PC)

2 Août 2025 | TESTS / PREVIEWS

Fretless – The Wrath of Riffson

Jusqu’où peut-on tordre les codes du RPG au tour par tour avant qu’ils ne se brisent ? Peut-on marier le deckbuilding stratégique, les mécaniques musicales et l’esthétique d’un pixel art volontairement rétro sans diluer l’un ou l’autre ? Fretless – The Wrath of Riffson se présente comme une réponse à ces questions, un manifeste ludique qui assume ses influences tout en tentant d’y injecter une identité sonore rare. Sorti le 17 juillet 2025 sur PC (Steam) par Ritual Studios et édité par Playdigious Originals, le titre se veut à la fois un hommage au jeu de rôle classique et un laboratoire de gameplay hybride. On y suit les aventures de Rob, avatar à peine fictionnalisé du guitariste YouTube Rob Scallon, face au magnat démoniaque Rick Riffson et à son label infernal, Super Metal Records (SMR).

Mais derrière son humour potache et son ton volontairement parodique, Fretless cache une réflexion subtile sur la contrainte comme moteur de tension ludique. Une approche qui évoque autant le caractère calibré d’un Slay the Spire dans son économie fermée que l’exubérance rythmique d’un Hi‑Fi Rush, tout en flirtant par instants avec la légèreté narrative d’un Paper Mario. Fretless occupe ainsi un espace rare : un jeu hybride, au croisement du RPG, du deckbuilder et du jeu musical, mais sans la richesse narrative d’un Paper Mario ni le degré de liberté systémique d’un Slay the Spire.

Dès ses premières minutes, Fretless affiche ses ambitions : il ne s’agit pas d’un simple RPG narratif où l’on enchaîne dialogues et combats, ni d’un pur deckbuilder à la Slay the Spire. Le cœur du système repose sur un combat au tour par tour structuré par des cartes, les “riffs”, mais chaque action est doublée d’un mini-jeu rythmique. Lorsqu’on joue une carte offensive ou défensive, un contour coloré se resserre : appuyer au bon moment maximise les dégâts ou l’efficacité. Plus tard, la jauge Crescendo déclenche une séquence inspirée de Guitar Hero : des notes défilent sur une portée stylisée, et chaque touche pressée avec précision décuple l’impact de l’attaque. Cette superposition de couches mécaniques crée un rythme organique : le joueur ne se contente pas de planifier, il doit exécuter.

Le deckbuilding n’est pas secondaire : chaque combat consomme des ressources limitées. Les riffs – une dizaine au début, jusqu’à 16 maximum – s’épuisent après usage pour l’ensemble du combat. Pas de recyclage infini, peu de “tutor” : on compose sa main avec soin, et la moindre carte mal placée peut fragiliser l’équilibre du tour. Cette économie fermée renforce la tension, mais introduit aussi une part d’aléatoire : certains tours s’avèrent brutalement stériles faute de tirage favorable. Les joueurs familiers des roguelikes y verront un élément de dramatisation ; d’autres ressentiront une frustration stratégique, surtout face aux boss. À noter également qu’aucun réglage de difficulté n’est proposé : un unique mode, calibré pour rester accessible, mais parfois jugé trop permissif ou trop rigide par certains joueurs. Une granularité supplémentaire aurait permis à chacun de doser la contrainte selon son appétit de challenge.

À cette contrainte de deck s’ajoute le choix de l’instrument principal, véritable vecteur d’identité. On commence avec une guitare acoustique polyvalente, avant de débloquer une basse centrée sur les charges « slap », un synthé spécialisé dans les effets de statut, et une guitare huit cordes capable d’invoquer un allié dévastateur au prix de la santé du joueur. Chaque instrument modifie non seulement la palette de riffs disponibles, mais aussi la dynamique des Crescendo : le synthé privilégie la planification à long terme, la huit cordes le burst destructeur. Un regret cependant : il est impossible de changer d’instrument en plein combat. On aurait aimé pouvoir alterner guitare et synthé pour s’adapter à des vagues d’ennemis aux profils différents. Cette limitation, sans doute volontaire pour éviter la sur-optimisation, prive le système d’une couche stratégique supplémentaire.

L’arsenal s’étoffe par les mods d’instrument (cordes, micros, chevalets) et les pédales, sortes de reliques passives. Ces dernières offrent des bonus permanents (jauge Crescendo qui se remplit plus vite, riffs qui appliquent un statut par défaut) et créent des synergies redoutables. On sent une volonté de permettre des “builds” expérimentaux, mais le plafond de complexité reste plus bas que chez les mastodontes du genre : on ne retrouvera pas ici la profondeur combinatoire d’un Monster Train.

Côté récit, Fretless assume un ton parodique. Rob Scallon incarne une version exagérée de lui-même : musicien attaché à son indépendance, il doit sauver ses amis et leur créativité du joug corporatiste de Rick Riffson. Chaque biome – Songwood Forest, Dropdee Beach, Timbre Faults – est truffé de jeux de mots musicaux, de clins d’œil aux clichés de l’industrie du disque et d’ennemis improbables (araignées-amplis, serpents-harpe).

La structure est linéaire : pas de quêtes secondaires scénarisées, peu de ramifications significatives. Le jeu propose deux fins selon des choix clés, mais la plupart des décisions sont cosmétiques. Les dialogues, souvent drôles, manquent parfois de substance : on aurait aimé des personnages secondaires plus développés, à l’image de la Doctoresse Strum ou du batteur en détresse que l’on croise brièvement. Le scénario demeure un prétexte plaisant mais assez convenu, sans jamais donner une réelle ampleur dramatique aux enjeux. Cette légèreté narrative est assumée : Fretless cherche avant tout à enchaîner biomes et combats, sans surcharger de lore.

Les zones traversées sont visuellement distinctes : forêts hantées, plages saturées de percussions, toundras métalliques. Chaque biome est un couloir élargi, ponctué de coffres, de combats scriptés et de puzzles simples. Ces énigmes reviennent régulièrement : aligner des notes sur une portée pour ouvrir une porte, pousser des blocs pour dégager un passage, activer des interrupteurs dans le bon ordre. Si elles apportent de la respiration, elles manquent de renouvellement et finissent par se répéter d’un biome à l’autre. La progression reste fluide mais sans éclats, les puzzles n’évoluant jamais au fil du jeu, ce qui peut donner une impression de routine.

Le joueur débloque rapidement le voyage rapide, nécessaire pour retourner améliorer ses riffs et acheter des mods. Mais ce système souffre de glitchs ponctuels : il peut arriver de se retrouver bloqué hors carte, contraint de relancer une sauvegarde précédente. Cette rigidité de l’exploration, associée à des environnements qui ne cachent ni raccourcis ni secrets majeurs, renforce l’impression d’un chemin balisé : on suit le flot jusqu’au prochain boss, sans surprise marquante.

Visuellement, Fretless frappe par son cohérent pixel art. Les animations de Rob et des ennemis sont expressives, les arrière-plans regorgent de détails sonores : fleurs qui tintent à chaque pas, cordes tendues au-dessus des gouffres. Chaque biome impose une palette de couleurs distincte, associée à une identité musicale : bleus froids et nappes synthétiques pour la toundra, oranges saturés et riffs saturés pour les volcans. On regrette seulement que certains ennemis recyclent des animations et des sons d’un biome à l’autre. Cette économie visuelle, compréhensible pour un studio indépendant, fragilise légèrement l’effet de découverte. Sur PC, Fretless tourne sans difficulté majeure, même sur des configurations modestes. Les temps de chargement sont courts, l’interface claire et adaptée à la manette comme au clavier.

Cependant, plusieurs bugs de progression peuvent agacer : le système de voyage rapide a tendance à bloquer le joueur hors carte dans de rares cas, obligeant à recharger une sauvegarde. Quelques Crescendo se déclenchent sans audio, certains ennemis restent figés après une interruption. Des désynchronisations de son, des collisions approximatives, des dialogues qui se figent ou encore des icônes ennemies et textes pixelisés disparaissant par moments viennent également troubler la fluidité générale. Ces problèmes, bien que non bloquants, rappellent que le jeu aurait gagné à un mois de polish supplémentaire.

La direction sonore est un plaisir constant. La bande-son, composée par Rob Scallon et ses collaborateurs (Northlane, Davie504, Cult of Luna…), s’adapte dynamiquement au gameplay. Les Crescendo déclenchent des variations instrumentales ; les riffs appliquent des couches rythmiques supplémentaires. Cet enchevêtrement donne le sentiment de “jouer la musique du monde” plutôt que de simplement l’accompagner.

Une première partie demande 6 à 8 heures, selon le niveau de difficulté choisi. Le mode unique proposé est accessible mais exigeant ; certains combats se transforment en puzzles impitoyables lorsque la marge d’erreur se resserre. La rejouabilité repose principalement sur le changement d’instrument : refaire le jeu avec la basse ou le synthé modifie sensiblement l’approche des combats. Toutefois, l’absence de contenu post-crédit, de New Game+ ou de variantes majeures limite l’envie de replonger immédiatement. Les biomes, puzzles et boss restent identiques, et la linéarité de la progression se ressent dès le deuxième run.

Fretless – The Wrath of Riffson ne cherche pas à tout prix à plaire. Il préfère cultiver un équilibre précaire entre exigence tactique et plaisir immédiat. Sa contrainte – des riffs limités, des instruments aux identités marquées, un monde linéaire – crée autant de moments de tension brillante que de frustrations légitimes. La progression est cohérente, mais régulière et sans surprise majeure. Certains joueurs seront désarçonnés par l’absence de liberté narrative et la part d’aléatoire ; d’autres goûteront la rare cohérence entre esthétique, mécanique et son.

Ce n’est pas un jeu pour tous. Mais pour ceux qui acceptent d’entrer dans son rythme, Fretless propose une expérience à part : celle d’un RPG qui ne sépare jamais la musique de l’action, qui fait de chaque combat un morceau à jouer, de chaque carte un accord à placer au bon moment. Sa durée contenue, sa direction artistique et sonore impeccable, et son identité assumée en font un indispensable pour les amateurs de gameplay hybrides. On lui pardonnera alors ses bugs, sa linéarité et son manque de variété structurelle : Fretless sait ce qu’il veut être, et il l’est jusqu’au bout.