Lost Records: Bloom & Rage
Les souvenirs d’adolescence, empreints de nostalgie et de mystère, façonnent notre identité d’adulte. Mais que se passe-t-il lorsque ces souvenirs refont surface, ravivant des secrets enfouis ? Lost Records: Bloom & Rage (Tape 1), développé par Don’t Nod et sorti le 18 février 2025, nous plonge dans cette introspection à travers une aventure narrative qui oscille entre les années 1995 et 2022. Ce premier volet d’un diptyque prometteur nous invite à explorer les méandres de l’amitié, de la mémoire et des non-dits.
L’histoire de Lost Records: Bloom & Rage s’articule autour de Swann Holloway, que l’on incarne à deux périodes charnières de sa vie. En 1995, Swann, adolescente introvertie de 16 ans, passionnée de cinéma, passe son dernier été à Velvet Cove, une petite ville du Michigan, avant de déménager au Canada. Elle y rencontre Nora, Autumn et Kat, avec qui elle forme un groupe de punk, Bloom & Rage. En 2022, à 43 ans, Swann revient à Velvet Cove pour retrouver ses anciennes amies, après 27 ans de silence. Ce va-et-vient entre les époques est habilement orchestré, offrant une profondeur émotionnelle rare. Les dialogues sont ciselés, reflétant avec justesse les tourments de l’adolescence et les désillusions de l’âge adulte. Les interactions entre les personnages sont crédibles, témoignant d’une écriture soignée qui évite les écueils du manichéisme.
Le gameplay repose principalement sur l’utilisation du caméscope de Swann en 1995. Cette mécanique permet d’enregistrer des moments clés, influençant la progression et dévoilant des éléments narratifs cruciaux. L’utilisation de la caméra est intuitive, bien que parfois répétitive lors des phases d’exploration. Les interactions sont fluides, mais l’absence de véritables défis ou énigmes peut laisser certains joueurs sur leur faim. Néanmoins, cette approche favorise une immersion profonde dans l’univers du jeu, en incitant à observer attentivement l’environnement et les personnages. Comptez environ 10 à 12 heures pour compléter ce premier volet, une durée respectable pour un jeu narratif. Les choix effectués influencent le déroulement de l’histoire, offrant une certaine rejouabilité pour ceux désireux d’explorer les différentes ramifications du scénario. Néanmoins, l’impact réel de ces choix sur la trame principale semble limité, ce qui peut réduire l’envie de recommencer l’aventure. Les quêtes secondaires sont peu nombreuses, mais elles apportent un éclairage supplémentaire sur les personnages et leur passé.
Visuellement, le jeu est une réussite. Les environnements de Velvet Cove sont détaillés, capturant l’essence des petites villes américaines des années 90. Les effets de lumière, notamment lors des scènes au crépuscule, ajoutent une touche mélancolique. Les personnages bénéficient d’un soin particulier, avec des expressions faciales crédibles qui renforcent l’immersion. Cependant, quelques textures apparaissent parfois moins travaillées, légèrement en décalage avec l’ensemble. L’esthétique générale évoque avec justesse l’ambiance de l’époque, renforçant le sentiment de nostalgie. Sur le plan technique, le jeu présente quelques faiblesses. Des chutes de framerate ont été constatées, notamment lors des transitions entre les époques. Des bugs mineurs, tels que des problèmes de synchronisation labiale, viennent parfois perturber l’expérience. Cependant, ces désagréments restent ponctuels et n’entachent pas significativement l’immersion. On peut espérer que des mises à jour futures viendront corriger ces imperfections. La musique joue un rôle prépondérant, mêlant dream pop, ambient et punk, reflétant les goûts éclectiques des protagonistes. Des artistes tels que Ruth Radelet, Milk & Bone et le Nora Kelly Band apportent une authenticité sonore qui ancre le joueur dans l’époque. Les effets sonores, qu’il s’agisse du bruit d’une cassette insérée ou du grésillement d’un amplificateur, sont finement intégrés, renforçant la crédibilité de l’univers. Les compositions originales accompagnent avec justesse les moments clés de l’histoire, amplifiant l’impact émotionnel des scènes.
Si Lost Records: Bloom & Rage s’inscrit dans la lignée des précédentes productions de Don’t Nod, il parvient à se démarquer par son ambiance résolument ancrée dans les années 90 et l’utilisation du caméscope comme outil narratif. Toutefois, certains pourront y voir une formule familière, rappelant notamment Life is Strange. L’absence de mécaniques de jeu véritablement novatrices pourrait décevoir ceux en quête d’innovation. Cependant, la qualité de l’écriture et la profondeur des personnages compensent largement ce manque d’originalité. Les comparaisons avec Life is Strange sont inévitables. Les deux jeux partagent une structure narrative similaire, centrée sur l’adolescence, l’amitié et des éléments surnaturels. Cependant, Lost Records adopte une approche plus réaliste, délaissant les pouvoirs extraordinaires pour se concentrer sur des expériences humaines tangibles. Cette orientation confère au jeu une authenticité rare, où la puissance évocatrice repose moins sur le spectaculaire que sur la résonance intime des silences, des regards et des non-dits. Si Life is Strange misait sur le vertige des choix aux conséquences fantastiques, Lost Records cultive une tension plus sourde, plus humaine, inscrite dans les failles du souvenir et la fragilité des liens.
Ce premier épisode de Lost Records: Bloom & Rage s’impose comme une œuvre à la fois mélancolique et lucide, où la douceur des souvenirs se heurte à l’amertume du temps. En tant que journaliste ayant accompagné depuis plus d’une décennie l’évolution des récits vidéoludiques, je mesure ici la maturité de Don’t Nod dans sa capacité à raconter autrement. La subtilité du jeu ne réside pas dans un effet de manche ou une pirouette mécanique, mais dans la fidélité émotionnelle qu’il parvient à instaurer, scène après scène, entre les personnages et le joueur. Il serait illusoire de nier les aspérités techniques, ni de minimiser une certaine frilosité dans la prise de risque ludique. Pourtant, ces faiblesses ne parasitent jamais l’essentiel : une narration incarnée, touchante, portée par un sens du rythme et une maîtrise formelle indéniable. Le jeu s’adresse à celles et ceux qui savent apprécier le silence entre deux phrases, la vérité dans un regard, la force d’une chanson qui ressuscite un été entier. En définitive, Lost Records: Bloom & Rage (Tape 1) est moins une histoire que l’on traverse qu’un écho qui nous traverse. Une œuvre sincère, aux résonances multiples, qui interroge notre mémoire autant qu’elle la célèbre. Si le second volet parvient à conclure avec autant de justesse qu’a su l’introduire ce premier acte, alors Don’t Nod signera sans doute là sa création la plus aboutie à ce jour.