TEST – Notre avis sur Project Motor Racing (PC)

2 Déc 2025 | TESTS / PREVIEWS

Project Motor Racing

Dès que l’on lance Project Motor Racing pour la première fois, on sent très vite qu’on n’est pas face à un simple jeu de caisse de plus, mais à la tentative obstinée d’un studio de remettre la simulation pure au centre de la piste. Straight4 Studios porte sur les épaules tout l’héritage de Project CARS et de GTR, tandis que GIANTS Software apporte sa technologie maison. Ce pedigree crée des attentes immenses, surtout quand on vient comme moi du monde du sim racing le plus exigeant, volant Logitech G29 solidement fixé au cockpit Next Level Racing Formula Lite Pro, prêt à encaisser chaque vibration. Le point de départ est clair dans mon esprit : si ce jeu ne tient pas sur la physique, les sensations et la densité du pilotage, tout le reste n’aura aucune importance.

Les premiers tours de roues donnent d’emblée le ton. Il y a dans la manière dont les voitures prennent appui, plongent au freinage et se laissent emmener en sortie de courbe un sérieux qui ne trompe pas. Project Motor Racing n’essaie pas de séduire en arrondissant les angles, il demande d’emblée du respect. Sur le G29, le moindre excès de zèle sur la pédale de droite se paie cash : le train arrière flotte, cherche la limite, et si l’on n’est pas parfaitement à l’écoute de ce qui remonte dans le volant, on se retrouve assez vite à contempler le paysage dans le mauvais sens. La progression se fait naturellement par l’humilité. On commence par lever le pied, comprendre le langage de la voiture, puis on re-construit, frein après frein, trajectoire après trajectoire, jusqu’à ce que le comportement cesse d’être menaçant et devienne simplement intense.

Le cœur de cette intensité, c’est le modèle physique. On sent très nettement que le jeu a été pensé pour que chaque phase de conduite ait un poids spécifique : l’approche du freinage, le transfert qui vient écraser les pneus avant, la remise des gaz progressive sous peine de délester trop brutalement l’arrière, tout est hiérarchisé et lisible. Les pneus ne sont pas une simple couche d’adhérence binaire qui passe de “tout va bien” à “tu es mort”. Ils ont des zones grises, ils préviennent, ils sifflent, ils vibrent, ils protestent, parfois de façon subtile, parfois de façon brutale, mais toujours avec une certaine logique. Y a-t-il des incohérences d’un modèle à l’autre ? Oui, clairement quelques prototypes modernes et certaines hypercars donnent parfois la sensation de flotter un peu trop, comme si la voiture était moins ancrée au sol que les GT plus classiques, mais dans l’ensemble le comportement reste dans un cadre crédible. On n’a pas cette impression d’imposture que peuvent renvoyer certains titres qui singent la simulation sans vraiment oser aller au bout, même si l’on sent nettement que toutes les voitures n’en sont pas au même niveau de maturité.

Là où Project Motor Racing se démarque vraiment, c’est dans la manière dont la piste elle-même devient un organisme vivant. Le système qui gère l’état de la surface fait partie des plus convaincants que j’aie pu toucher à ce jour. En début de session, l’asphalte est encore vierge, froid, presque hostile. On sent les pneus chercher la température, l’adhérence maximale n’est pas encore là, la direction paraît plus légère, les distances de freinage s’allongent. Tour après tour, une trajectoire se dessine, se gomme littéralement. On sent le grip se concentrer dans la ligne idéale tandis que les zones hors trajectoire restent plus piégeuses, plus poussiéreuses, moins accueillantes. Quand la pluie s’invite, l’ensemble prend une dimension supplémentaire. Les flaques se forment dans les creux, l’eau se canalise, les pneus évacuent ce qu’ils peuvent et la voiture réagit avec une logique presque troublante. On sent le moment où les roues avant commencent à décoller du film d’eau, le léger retard de la direction, puis le retour progressif de la morsure quand on revient sur un bout d’asphalte essuyé par le passage répété du peloton. Rater sa corde et se retrouver à doubler les roues dans une zone détrempée devient instantanément une mauvaise idée, et non plus un détail cosmétique. On regrette d’autant plus que le rendu visuel de cette météo ne soit pas toujours au niveau de la sophistication de ce qui se passe sous les pneus : les projections d’eau manquent parfois de naturel, certaines pluies donnent un sentiment un peu artificiel. La sensation de rouler sur une piste qui se transforme, elle, reste indéniable.

Avec ce niveau de détail, la perception du poids et de la vitesse devient capitale. Sur un circuit comme Spa ou Bathurst, les compressions, les dévers et les changements de relief prennent un relief particulier. Plonger à pleine charge dans un enchaînement rapide, sentir la voiture s’écraser sur ses suspensions avant de se détendre en haut de la bosse, puis devoir rattraper une légère dérive au moment même où les roues se délestent, c’est typiquement le genre de séquence où Project Motor Racing brille. La vitesse n’est pas qu’un chiffre sur le tableau de bord : elle est dans la manière dont le volant se tend, dans le grondement qui monte dans le châssis, dans cette impression physique de “trop tard pour freiner” qui vous prend au ventre. On n’est pas dans une mise en scène hollywoodienne, mais dans quelque chose de plus cru, de plus technique, qui parle directement à ceux qui connaissent par cœur la différence entre une voiture saine et une voiture qui commence doucement à se dérober.

La qualité de ces sensations serait pourtant largement gâchée si le retour de force n’était pas à la hauteur, et c’est là que le Logitech G29 devient un juge impitoyable. Le jeu a choisi une approche très “mécanique” du volant, en remontant principalement ce qui se passe réellement au niveau de la liaison au sol. Avec ce volant, qui n’est pas exactement un monstre de couple mais qui reste un excellent outil pour lire les détails, cela se traduit par une palette de signaux très riche. On sent la charge se déplacer d’un pneu à l’autre, on sent le moment où le train avant commence à saturer, on sent le léger flottement qui précède la perte d’adhérence. Lorsqu’on attaque un vibreur agressif, le volant cogne comme il faut, sans tomber dans la caricature, et surtout sans gommer la finesse du reste. Il faut passer un peu de temps dans les options pour trouver le bon équilibre, éviter les aplats et les saturations, mais une fois calé, le jeu offre l’un des retours de force les plus crédibles et les plus “parlants” que j’aie pu obtenir sur ce matériel. Tout n’est pas parfait pour autant : certaines autos, notamment parmi les prototypes les plus extrêmes, renvoient un retour plus flou, moins nuancé, comme si la couche d’interprétation manquait encore d’affinage. À l’inverse, les GT modernes et quelques classiques d’endurance s’expriment avec une clarté remarquable, au point de donner l’impression d’un titre encore en train d’aligner ses modèles sur un standard commun. Dans la bonne voiture, sur le bon circuit, l’ensemble reste néanmoins très au-dessus de la plupart des concurrents généralistes.

La variété de voitures renforce cette impression de sérieux. Project Motor Racing ne se contente pas de remplir une liste pour le plaisir de cocher des marques. On sent que chaque catégorie a été pensée pour raconter une manière différente de vivre la piste. Les GT modernes proposent ce savant compromis entre puissance maîtrisable et châssis rigoureux qui permet de travailler son pilotage au cordeau, en jouant sur les transferts et les freinages tardifs. Les GT plus anciennes et certaines machines d’endurance classiques demandent beaucoup plus de finesse sur la pédale de frein, une vraie discipline dans la remise des gaz, et rappellent constamment que le pilotage, dans ces autos-là, était avant tout une histoire de survie. Quand on passe aux prototypes modernes, la brutalité de l’aérodynamique change complètement la manière de penser une trajectoire. Les mêmes virages se prennent d’une autre façon, avec une confiance différente dans la capacité de la voiture à encaisser une vitesse absurde sans décrocher. On regrette que certaines de ces voitures très pointues soient un peu moins homogènes en termes de sensations que les GT, et qu’elles trahissent davantage les limites actuelles du modèle physique, mais le plaisir de varier les plaisirs reste intact.

Les circuits, eux, constituent un tour du monde assez satisfaisant. Les grands classiques sont là et globalement bien rendus. La Nordschleife garde son côté monstrueusement vivant, spasmodique, exigeant. Kyalami offre des enchaînements modernes très techniques qui mettent en valeur la stabilité du châssis et la précision du volant. Bathurst reste ce ruban cruel où la moindre hésitation se paye par un baiser prolongé au mur. La fidélité des tracés, les repères visuels, les dénivelés, tout ce qui fait la réalité de ces lieux mythiques est là dans les grandes lignes, même si la patine graphique n’est pas toujours au niveau des poids lourds du moment. Certains environnements manquent de relief visuel, les éclairages ne mettent pas toujours aussi bien en valeur les textures qu’on pourrait l’espérer, et certaines conditions météorologiques accusent encore une forme de dureté visuelle. Les replays, eux, peinent à sublimer ce qui se passe en piste, comme si la caméra refusait d’assumer le spectaculaire de certaines séquences. Mais quand on se concentre sur la ligne, sur le timing des freinages, sur la danse entre la voiture et la piste, ces défauts s’effacent assez vite.

Là où le jeu tente quelque chose de plus ambitieux que la moyenne, c’est dans son mode carrière. Au lieu d’enchaîner des championnats génériques où l’on engrange simplement des points et des crédits, Project Motor Racing vous met à la tête d’un programme sportif où la survie financière est presque aussi importante que les secondes gagnées au tour. Chaque engagement a un coût, chaque réparation a un prix, chaque déplacement pèse sur la trésorerie. Choisir de s’aligner sur une saison bien dotée mais très éloignée géographiquement de son “centre opérationnel” peut s’avérer un pari risqué, et le moindre crash en début de week-end se transforme en cauchemar comptable. Cette idée de devoir penser son calendrier, ses sponsors, ses ambitions en fonction de ce que l’on peut réellement assumer donne à la carrière un parfum particulier. On cesse de considérer une simple touchette comme un incident sans conséquence : on entend déjà la facture s’empiler au-dessus du budget. Le revers de cette approche, c’est qu’elle peut devenir pesante si l’on enchaîne les déboires. Quand on sort de trois week-ends ruinés par un accident évitable ou par un coup bas de l’IA, la frustration grimpe vite et l’on se surprend à regretter parfois un cadre un peu plus généreux, un amortisseur pour les mauvaises séries. La carrière a le mérite d’oser une véritable logique de risque/récompense, mais elle manque encore d’une courbe de difficulté mieux domptée, qui laisserait au joueur le temps de construire plutôt que de survivre en permanence au bord du gouffre.

Parce que oui, l’intelligence artificielle n’est clairement pas le point fort du jeu. Sur le papier, des adversaires soumis au même modèle physique que le joueur, capables de varier leurs trajectoires, de réagir à l’état de la piste et à la météo, c’est séduisant. Sur la piste, le résultat est plus mitigé. Les adversaires sont rapides, parfois très rapides, et savent défendre une position avec une certaine conviction. Mais leur conscience latérale laisse à désirer. On se retrouve trop souvent pris en sandwich par une voiture qui se rabat sans vraiment tenir compte du fait qu’il reste un pare-chocs quelque part dans son angle mort. Les départs groupés se transforment régulièrement en loterie, où il faut piloter autant contre leurs mouvements imprévisibles que contre le tracé lui-même. En paquet serré, l’IA manque de cette intelligence de survie que l’on attend d’un peloton bien éduqué : elle ferme la porte à contretemps, insiste dans des lignes où un humain leverait naturellement le pied. Quand on joue une carrière où les dégâts coûtent cher, ces comportements font grincer des dents. Il y a du potentiel dans cette IA, on sent par moments des duels propres, des tentatives de dépassement réfléchies, mais l’ensemble manque encore de cette prudence et de cette lecture de course qui font la différence entre un bon peloton virtuel et un champ de mines.

Sur le plan technique, le jeu porte les traces d’un développement ambitieux mais pas toujours parfaitement poli. Visuellement, Project Motor Racing n’est pas indigne, loin de là, surtout en vue cockpit, où la modélisation des intérieurs, la position de conduite et la lisibilité des informations sont très satisfaisantes. Les carrosseries, les jantes, les détails aérodynamiques tiennent la route, mais l’ensemble manque parfois de chaleur, de profondeur dans les environnements, comme si le budget avait été clairement investi d’abord dans la physique et seulement ensuite dans la mise en scène. Côté performances, sur une machine correcte, on parvient à obtenir une fluidité honnête avec un parc de voitures dense et des conditions météo variables, mais certaines combinaisons circuits plus pluie plus gros peloton font encore tousser la fréquence d’images. Rien d’ingérable, mais suffisamment pour rappeler que le moteur traîne encore quelques angles à lisser, et que la stabilité n’est pas toujours à la hauteur des ambitions affichées. Les modes en ligne, eux, souffrent de cette même tension : sur le papier, l’idée d’une structure classée, de championnats et de crossplay a de quoi séduire, mais l’exécution, entre matchmaking capricieux et sessions instables, ne donne pas encore le sentiment d’une plateforme compétitive solide.

L’audio, en revanche, participe beaucoup à l’immersion. Les moteurs ne sonnent pas tous avec la même réussite, certains blocs modernes manquent un peu de caractère, mais globalement la restitution des timbres reste convaincante. On distingue bien le travail des turbos, des boîtes, des transmissions, et surtout la différence de texture entre les catégories. Une GT classique hurle et gronde d’une manière très différente d’un prototype fermement plaqué au sol, et l’on se surprend souvent à conduire fenêtres ouvertes juste pour profiter un peu plus des résonances. Certaines voitures semblent toutefois encore en retrait, avec des signatures sonores plus lisses, moins mémorables, ce qui trahit là encore un travail en cours plus qu’un aboutissement. Les bruits de pneus, de dérapage, de gravier qui claque dans les passages hors trajectoire, le claquement sec d’un contact avec un rail, tout cela aide à sentir la voiture et le circuit sans même regarder le compteur. Le mixage reste clair même en plein trafic, ce qui est essentiel quand on pilote en vue cockpit avec un casque sur les oreilles.

Reste la question essentielle : en tant que passionné de simulation pure, est-ce que Project Motor Racing mérite le temps et l’investissement qu’il réclame ? Ma réponse est nuancée mais engagée. Oui, le jeu est brut, parfois rugueux, souvent impitoyable. Oui, l’intelligence artificielle a besoin de travail, la finition souffre de compromis visibles, certains comportements restent à stabiliser, et l’emballage technique ne fera pas tourner toutes les têtes. Le rapport entre effort demandé et récompense n’est pas toujours bien équilibré, et ceux qui cherchent un produit totalement abouti dès le premier jour resteront probablement sur leur faim. Mais quand on voit ce que le titre réussit sur le cœur du métier — la relation entre le pilote, la voiture et la piste — il devient difficile de l’ignorer. Peu de jeux parviennent aujourd’hui à rendre aussi bien la sensation de rouler sur un ruban d’asphalte vivant, qui évolue au fil des tours, sous l’effet de la gomme, de la pluie, du trafic. Peu de jeux demandent autant d’attention à ce que raconte le volant, à la manière dont les pneus se chargent, aux respirations du châssis.

Project Motor Racing est donc un jeu exigeant, un peu brut, encore instable, mais animé par une vraie vision du pilotage. Ceux qui cherchent un produit abouti risquent d’être déçus, mais ceux qui souhaitent sentir une voiture vivre, respirer, lutter contre la piste, y trouveront déjà de très bons moments. C’est un titre à surveiller, à pratiquer, et à espérer voir évoluer. Pour ma part, malgré ses défauts, j’y reviens volontiers : il contient assez de vérité dans ses sensations pour mériter qu’on s’y accroche.