Selfloss
Dans l’univers des jeux vidéo indépendants, rares sont les œuvres qui parviennent à capturer l’essence des émotions humaines avec autant de sensibilité que Selfloss. Développé par Goodwin Games, un studio modeste mais ambitieux, ce titre nous invite à un voyage empreint de mythologie slave et islandaise, où les thèmes de la guérison, du deuil et de la conservation de l’environnement se tissent avec une certaine élégance. Cependant, derrière cette proposition riche en promesses, l’expérience de jeu est-elle à la hauteur des attentes ? Voici une analyse approfondie de ce jeu, qui oscille entre moments de grâce et zones d’ombre.
Dès les premières minutes, Selfloss frappe par sa direction artistique distincte. Le monde que l’on découvre est baigné dans une mélancolie visuelle, où les couleurs délavées et les environnements détaillés traduisent un univers en déclin, rongé par le miasme, cette force maléfique que l’on est appelé à combattre. Les références à la mythologie slave et islandaise sont omniprésentes et bien intégrées, conférant une identité forte au jeu. Chaque décor semble avoir été conçu avec soin, et les moments d’exploration, qu’ils se déroulent à pied ou en bateau, sont souvent empreints d’une beauté visuelle indéniable. Cependant, bien que le monde de Selfloss soit visuellement charmant, il souffre d’une certaine monotonie. L’usage limité des couleurs, probablement voulu pour accentuer l’atmosphère mélancolique, finit par ternir l’immersion. Les environnements, bien que soignés, manquent parfois de variété et la répétition de certains motifs visuels finit par atténuer l’impact des paysages. De plus, la caméra, pourtant cruciale pour un jeu d’exploration, montre parfois des signes de maladresse, rendant difficile les déplacements dans les environnements restreints ou lors des phases en bateau. Ce problème de perspective peut parfois altérer l’expérience, surtout lors des moments critiques où la visibilité est essentielle.
Le cœur du gameplay repose sur l’utilisation du bâton magique de Kazimir, le personnage principal. Ce bâton, à la fois outil et arme, permet au joueur de résoudre des énigmes environnementales, de combattre des créatures issues du miasme et d’interagir avec le monde. La mécanique d’utilisation du bâton est l’une des idées les plus intéressantes du jeu, offrant une expérience à deux niveaux : il peut être manipulé simultanément ou indépendamment du personnage, ouvrant des opportunités de gameplay créatives. Cependant, cette mécanique souffre d’une certaine rigidité dans son exécution. Les contrôles, notamment lors des phases de combat, peuvent se montrer imprécis, voire frustrants. Kazimir, en raison de son âge, se déplace lentement, et cette lenteur, bien qu’elle participe à la construction de son personnage, impacte négativement la fluidité des affrontements. Les joueurs peuvent vite se sentir ralentis par cette lourdeur, surtout lors des séquences nécessitant des mouvements plus précis. Le système de visée du bâton, quant à lui, manque de réactivité, rendant parfois les combats laborieux. Les énigmes, bien qu’astucieuses dans leur conception, souffrent d’un manque de variété et de renouvellement. On retrouve souvent les mêmes mécanismes de résolution, ce qui réduit l’effet de surprise au fur et à mesure que l’on progresse dans l’histoire. Cela étant dit, les énigmes plus complexes apportent une certaine satisfaction une fois résolues, et c’est dans ces moments que le jeu brille vraiment.
Sur le plan narratif, Selfloss se distingue par la subtilité de son récit. Kazimir, ce vieil homme marqué par le deuil, se lance dans une quête pour soigner son âme blessée tout en aidant les autres. Les thèmes du deuil, de la perte et de la résilience sont omniprésents et confèrent au jeu une profondeur émotionnelle rare. Chaque rencontre avec un personnage, chaque mission de guérison nous rappelle la douleur de Kazimir, mais aussi celle des autres habitants de ce monde magique. Cependant, cette approche minimaliste, où les dialogues sont rares et l’histoire est principalement racontée à travers l’atmosphère et l’action, peut diviser. Certains joueurs apprécieront cette économie de mots, laissant place à l’interprétation personnelle. D’autres, en revanche, pourraient regretter le manque de développement narratif plus explicite, donnant parfois l’impression que le jeu reste en surface sans jamais vraiment creuser les arcs émotionnels de ses personnages secondaires. Le rythme du jeu, quant à lui, est sujet à discussion. Si l’exploration offre des moments contemplatifs, elle est parfois entrecoupée de combats ou de puzzles qui cassent l’immersion. Le manque de tension narrative dans certaines phases peut entraîner un essoufflement, surtout lorsque le joueur se perd dans des énigmes répétitives ou dans des mécaniques de jeu déjà vues.
L’une des grandes réussites de Selfloss réside sans conteste dans sa bande-son. Composée par Arigto, elle apporte une profondeur émotionnelle à chaque moment clé du jeu. Les mélodies mélancoliques, combinées aux sons ambiants tels que les vagues, les chants des baleines ou les échos du vent, renforcent cette atmosphère de solitude et de quête intérieure. Cependant, la bande-son peut aussi parfois devenir trop envahissante, surtout lors des longues séquences d’exploration. L’absence de moments de silence ou de calme sonore peut contribuer à une fatigue auditive, et certains joueurs pourraient souhaiter plus de contraste entre les différentes pistes pour maintenir une immersion équilibrée. Néanmoins, le travail sonore reste globalement une force du jeu, accentuant l’ambiance déjà captivante des environnements.
En termes de durée de vie, Selfloss offre une aventure relativement courte, estimée entre 8 et 10 heures selon la progression du joueur. Cette durée, bien qu’adéquate pour un jeu indépendant, peut sembler limitée pour certains joueurs à la recherche d’une expérience plus longue et étoffée.
Par ailleurs, il est important de noter que le jeu souffre de certains défauts techniques, en particulier sur les premières versions. Des bugs liés aux collisions, des ralentissements de la caméra et des problèmes d’optimisation en bateau ont été signalés, affectant l’expérience de jeu. Ces problèmes, bien que mineurs pour certains, peuvent frustrer ceux qui recherchent une fluidité irréprochable.
Selfloss est un jeu qui parvient à toucher par sa poésie et son univers singulier. Goodwin Games, malgré sa petite taille, a réussi à créer un monde à la fois beau et mélancolique, où chaque pas est empreint de signification. Cependant, derrière cette façade séduisante, le jeu souffre de plusieurs faiblesses, notamment dans son gameplay parfois rigide, son manque de variété et ses défauts techniques.
Si vous êtes un amateur de jeux contemplatifs, aimant les atmosphères mélancoliques et les récits subtils, Selfloss saura sans doute vous captiver. Mais pour ceux qui recherchent une expérience de gameplay plus fluide et variée, le titre pourrait manquer de l’impact nécessaire pour être véritablement inoubliable. En somme, un jeu à découvrir pour son audace artistique et émotionnelle, mais dont les défauts peuvent freiner l’expérience.