TEST – Notre avis sur Sol Cesto – Early Access (PC)

22 Juin 2025 | TESTS / PREVIEWS

Sol Cesto

Pourquoi, depuis plusieurs jours, est-ce toujours vers ce petit damier obscur que mes pensées reviennent ? Pourquoi ce jeu, d’apparence modeste, s’est-il insidieusement incrusté dans mes cycles de concentration, de repos, de travail, jusqu’à hanter les creux de mon temps libre ? C’est que Sol Cesto, sous son vernis de rogue-lite au concept simple, réussit ce que peu de titres m’ont offert ces dernières années : une obsession discrète, un appel constant à relancer une partie, juste une, puis encore une autre, dans l’espoir de lire différemment la mécanique de son chaos organisé.

Sur une grille de seize cases, le joueur choisit une rangée. Une seule. Le reste, le jeu le décide. De ce principe réducteur naît une complexité vertigineuse. Chaque mouvement, chaque choix de rangée est une projection de probabilités, d’espoirs biaisés, de craintes statistiques. On tente de maîtriser l’incertain, on calcule les zones d’ombre, et pourtant, on sait : on ne décidera jamais totalement. Sol Cesto joue sur ce déséquilibre exquis entre liberté et contrainte, et il en fait un art. Ce qui frappe, au-delà de la boucle de gameplay, c’est la manière dont elle refuse toute surcharge. Pas de multiplicité d’actions, pas de clics superflus, pas d’arborescences inutiles. Tout est ramené à l’essence. Le joueur lit, anticipe, espère. Le minimalisme apparent dissimule une densité mathématique qui rappelle les meilleurs puzzles tactiques. Il faut apprendre à lire le plateau comme un palimpseste mouvant : sous chaque pièce, une intention, sous chaque piège, une promesse. Et parfois, face à l’opacité volontaire des systèmes, on souhaiterait que certains éléments critiques — comme l’activation effective des dents métalliques — bénéficient d’un indicatif visuel, clair et immédiat.

Deux types de dents — les pierres et les métalliques — incarnent les fragments d’espoir que l’on déploie dans le chaos. Les premières ajustent les chances, les secondes manipulent les effets. Chacune est une idée, une réminiscence ludique. Leur combinaison est une langue que l’on apprend lentement, douloureusement. Elles modifient l’algorithme interne du damier, et leur positionnement devient peu à peu un acte d’écriture : que vais-je tenter d’influencer ici ? Que suis-je prêt à perdre pour peut-être gagner mieux ? Jamais dans la mécanique ces objets ne paraissent accessoires. Leur accumulation crée un feuilletage stratégique dont on peine à mesurer toute l’étendue. Certaines synergies n’apparaissent qu’après plusieurs heures. Certaines dents, inertes dans un build, se révèlent fulgurantes dans un autre. Une dent de ralentissement de boss, anodine en début de partie, devient centrale dans le troisième biome. À l’inverse, une dent de gain passif peut sembler surpuissante jusqu’à briser momentanément la tension du risque. Il y a, dans leur maniement, une forme d’érudition : on apprend par la perte.

Chaque biome que l’on traverse dans Sol Cesto déploie non seulement une variation visuelle mais une mécanique propre. Les ennemis ne sont pas simplement des obstacles : ils incarnent des contraintes logiques. Certains se nourrissent des erreurs de lecture du plateau. D’autres obligent à envisager deux coups à l’avance, à redéfinir sa priorité de survie. Les boss, rares, mais puissants, ne se contentent pas de tests statistiques : ils imposent des architectures entropiques. Le jeu les place en fin de biome, comme un juge silencieux de nos choix antérieurs. Si l’on arrive à eux sans plan, ils nous renvoient froidement à l’écran de départ. Le troisième biome, en particulier, opère un resserrement sensible de la marge de manœuvre : ses créatures sont plus rapides, ses pièges plus fréquents, et son boss punitif à l’extrême. Cette bascule brutale dans la courbe de difficulté réveille un sentiment d’urgence inédit — parfois grisant, parfois frustrant — mais toujours structurant. Et pourtant, à aucun moment, cette difficulté n’est punitive. Elle est structurelle. Elle oblige à relire la partie. Là encore, le jeu éduque sans jamais expliquer. C’est dans le rythme, dans les feedbacks systémiques, que l’on comprend.

Ce qui me pousse à relancer, inlassablement, une nouvelle partie de Sol Cesto, c’est cette capacité à écrire, dans chaque run, une micro-histoire de choix, d’erreurs, de réussites inespérées. Le jeu devient à chaque tentative un poème aléatoire. Certains runs sont des tragédies, d’autres des comédies absurdes, la plupart des fables détraquées où le hasard se prend pour Dieu. Et cette compulsion n’est pas vide. Elle est alimentée par une véritable profondeur systémique. Sol Cesto est un jeu qui pense ses mécanismes comme un langage, pas comme des gadgets. Il invite à l’expérimentation, à l’échec noble, à la répétition signifiante. C’est dans l’habitude que l’on devient stratège, dans l’échec qu’on trouve la clé.

Le style graphique de Sol Cesto déroute. Papier découpé ? Animation grotesque ? Ébauche d’enfance qui aurait mal tourné ? Il y a quelque chose de volontairement décalé, de « cute-ugly » assumé. Les créatures, les personnages, les effets visuels ne cherchent jamais la beauté. Ils cherchent à créer du malaise tendre, un univers qui tangue entre onirisme et cauchemar absurde. L’animation y joue un rôle clé : jamais fluide, toujours suggestive, presque désarticulée, elle participe de cette ambiance suspendue. Quant à la bande-son, elle réussit l’exploit d’être présente sans jamais être insistante. Les bruitages, eux, renforcent l’inconfort avec une justesse rare. Seul bémol : certains effets de clignotement, notamment lors de la sélection de personnage ou des écrans de mort, pourraient être adoucis ou paramétrables pour préserver l’accessibilité visuelle.

On pourrait croire, en abordant le jeu, que son minimalisme nuit à l’ergonomie. L’interface est épurée, parfois austère. Les informations sont parfois reléguées à des icônes qu’on devine plus qu’on ne lit. Sur Steam Deck, certains textes peinent à rester lisibles, surtout dans les séquences de choix complexes. L’expérience y reste néanmoins fluide dans 90 % des cas, avec de légers ralentissements lors des transitions animées. Et pourtant, très vite, l’esprit fait le lien. Les règles sont comprises intuitivement. L’économie cognitive que le jeu exige au départ devient, à terme, une grammaire naturelle. Il faut cependant noter que cette radicalité dans l’épure ne conviendra pas à tous. L’absence de tutoriel formel, le choix de tout apprendre par la boucle de jeu, créent une barrière à l’entrée. Barrière que le plaisir, ensuite, pulvérise — mais qui pourrait être franchie plus aisément par l’ajout d’un tutoriel visuel ou d’un système de feedback progressif intégré à la première run.

Bien que toujours en cours de développement, la version actuelle de Sol Cesto donne déjà une impression de cohérence. Trois biomes disponibles, quatre personnages jouables, une quantité notable de dents et de secrets : tout est là pour créer une expérience riche, sans que le manque de contenu ne vienne freiner l’envie de creuser. Les bugs existent, mais rares sont ceux qui brisent l’expérience. J’ai pu observer quelques gels dans les menus, quelques activations de dents non prises en compte, mais rien de systémique. Les correctifs récents ont résolu plusieurs points sensibles, preuve que la stabilité du jeu progresse et que l’écoute des retours est réelle. Quant à l’avenir du titre, il semble balisé avec rigueur : deux biomes supplémentaires, de nouveaux héros, davantage d’objets et de secrets. Mieux encore : le studio a su faire preuve d’une rare transparence sur ses moyens et sa feuille de route, consolidant un lien de confiance précieux avec sa communauté.

J’ai joué, puis rejoué, puis rêvé de Sol Cesto. Parce que ce jeu, avec ses airs de curiosité de boutique indé, incarne quelque chose de plus vaste : une façon de penser le hasard non comme une distraction, mais comme une matière à sculpter. Il n’est pas question ici de perfection technique, ni de narration spectaculaire. Il est question de rigueur systémique, d’émergence organique, de plaisir profond né de la compréhension lente. Sol Cesto n’est pas un jeu à consommer. C’est un jeu à décortiquer. Une architecture à habiter. Une logique à apprivoiser.