TEST – Notre avis sur South of Midnight (PC)

7 Avr 2025 | TESTS / PREVIEWS

South of Midnight

Et si les racines du fantastique étaient enfouies dans la boue d’un Sud rêvé, moite, hanté ? Et si le récit interactif retrouvait sa voix en chantant les douleurs ancestrales, les silences gorgés de sens et les mémoires endormies ? South of Midnight, dernier-né de Compulsion Games, paru sur PC le 3 avril 2025, ose cette proposition ambitieuse. Mais derrière le lyrisme visuel, quel est le poids réel de cette fresque ludique ?

South of Midnight s’ouvre comme un conte voilé de brume : une jeune femme, Hazel, hantée par la disparition de sa mère, revient dans sa ville natale de Prospero, en Louisiane, pour y affronter un passé que la communauté refuse de nommer. Dès les premières minutes, le ton est donné : réalisme magique, dialogues ciselés, écriture intimiste mais jamais solipsiste. Les scènes de confrontation familiale, les hallucinations liées aux traumatismes non résolus, les présences surnaturelles liées à un folklore afro-américain peu exploré dans le médium vidéoludique, tout converge vers une narration à la fois dense, nuancée et organiquement intégrée au gameplay. Chaque séquence narrative fait écho à une dynamique ludique : une poursuite déclenche une réminiscence, un dialogue enclenche une distorsion du monde. Le jeu n’expose pas, il convoque, et cette différence subtile produit une résonance émotionnelle rare. La structure ludique de South of Midnight se déploie dans une tension constante entre exploration, infiltration et affrontements. Les commandes, souples et précises, permettent une navigation fluide à travers les marais, les ruines, et les faubourgs délaissés de Prospero. Le système de combat repose sur une alchimie entre rituels ancestraux (que Hazel apprend au fil des rencontres) et armes improvisées, comme des fioles d’essence spirite ou des pièges artisanaux. Le jeu évite la surenchère spectaculaire pour privilégier l’impact : chaque affrontement compte, chaque choix dans l’arbre de compétences façonne une approche différente. Le level design, intelligent et varié, offre des embranchements subtils : certains chemins secrets ne se révèlent qu’après avoir résolu une énigme environnementale ou exhumé un fragment de mémoire. L’IA, sans être révolutionnaire, réagit avec cohérence à nos actions, adaptant ses routines et embuscades. On regrette quelques pics de difficulté mal calibrés, notamment lors des combats contre des entités spectrales trop résilientes, mais ces moments restent marginalement frustrants.

Visuellement, South of Midnight atteint des sommets d’évocation. Plutôt que de chercher le photoréalisme, le studio a misé sur une esthétique picturale métamorphique, entre crayonné mouvant et aquarelle hantée. Les jeux de lumière — lanternes tremblotantes, feux follets, orages électriques — sculptent un espace sensoriel vivant. Chaque lieu semble respirer : les feuillages oscillent, les murs chuchotent, les eaux stagnantes réfléchissent plus que des ombres. L’animation des personnages, bien qu’encore perfectible dans certaines expressions faciales, confère à Hazel une présence habitée, entre fragilité et détermination. La cohérence stylistique, du menu à l’interface, fait de chaque instant une extension de l’imaginaire narratif. Rarement un jeu n’avait si pleinement assumé son langage visuel comme vecteur de sens. Techniquement, South of Midnight tient à la fois du petit miracle et de l’expérience encore perfectible. Sur une configuration PC solide (RTX 4070, 32 Go de RAM), le jeu tourne en 60 FPS constants avec des chargements rapides et discrets. Mais des artefacts visuels apparaissent parfois lors des transitions entre cinématiques et gameplay, trahissant un moteur évidemment poussé à ses limites. Quelques bugs de collision, rares mais récurrents, écorchent l’immersion, notamment lors de séquences d’infiltration. Cependant, les mises à jour déployées depuis le lancement corrigent progressivement ces accrocs. L’optimisation sur PC est globalement satisfaisante, avec de nombreux paramètres graphiques ajustables, y compris un mode très réussi pour les configurations plus modestes.

La bande-son de South of Midnight est l’une de ses plus grandes forces. Composée principalement de morceaux blues-folk enregistrés sur instruments traditionnels, elle évoque aussi bien l’errance que la mémoire. Chaque thème semble naître du décor : une vieille guitare qui résonne dans un porche abandonné, un chant spectral porté par le vent. Les effets sonores, discrets mais minutieusement mixés, ancrent chaque pas, chaque bruissement, chaque manifestation surnaturelle dans une matière sonore palpable. Le doublage, entièrement en anglais avec sous-titres français, atteint un rare degré d’authenticité. La voix d’Hazel, tour à tour brisée, ironique, ou combattive, donne corps aux intonations multiples du récit. Le design sonore, dans son ensemble, ne se contente pas d’accompagner le jeu : il le fonde.

D’une durée moyenne de 18 à 22 heures pour l’histoire principale, South of Midnight s’ouvre en marges vers un contenu secondaire riche mais jamais envahissant. Chaque quête annexe — souvent centrée sur un personnage ou un lieu oublié — apporte une perspective nouvelle sur l’intrigue principale. Certains arcs narratifs peuvent être manqués ou développés selon nos choix, affectant non seulement la fin, mais aussi le ton même du voyage. Trois dénouements distincts existent, liés à des décisions morales subtiles plutôt qu’à de simples embranchements binaires. Le jeu n’encourage pas la rejouabilité par accumulation, mais par curiosité interprétative. Aucun mode multijoueur ou endgame artificiel ne vient diluer la cohérence de l’ensemble : South of Midnight est une expérience singulière, à revisiter pour ses nuances, non ses mécanismes. Là où d’autres jeux narratifs multiplient les artifices pour masquer leur linéarité, South of Midnight assume pleinement sa nature d’odyssée sensorielle. Il n’emprunte pas au monde ouvert ses tics éculés, préférant une progression par zones interconnectées, à la métroidvania. Comparé à un titre comme A Plague Tale: Requiem, il se montre plus audacieux dans sa mise en scène, plus organique dans son rapport au surnaturel. Face à un Control de Remedy, il préfère l’énigme de la transmission à la fascination pour l’anomalie. Et si l’on songe à ses aînés spirituels — les premiers jeux de Dontnod, voire certaines séquences de Kentucky Route Zero —, South of Midnight les dépasse souvent en cohésion esthétique et en maîtrise du ton.

South of Midnight n’est pas un jeu parfait. Il souffre de quelques rigidités techniques, d’une certaine austérité dans son rythme et d’une exigence qui rebutera les amateurs de gratification immédiate. Mais il est aussi à sa manière un jeu nécessaire : dans sa manière de parler de deuil, de racines, de résilience ; dans son refus des conventions bruyantes ; dans son art de conjuguer mécanique et mémoire. Il s’adresse à celles et ceux qui attendent du jeu vidéo autre chose qu’un détour divertissant : une véritable expérience d’auteur, exigeante, sensorielle, mémorielle. Pour qui saura l’écouter, South of Midnight résonnera longtemps.