TEST – Notre avis sur The Precinct (PC)

16 Mai 2025 | TESTS / PREVIEWS

The Precinct

Quel jeu vidéo peut aujourd’hui réconcilier nostalgie d’une époque révolue et volonté de réinvention ? Peut-on encore explorer les rues d’une ville ouverte en endossant l’uniforme de la justice, sans tomber dans le simulacre ou la parodie ? The Precinct, développé par Fallen Tree Games et édité par Kwalee, paru sur PC le 13 mai 2025, s’attaque avec ambition à cette gageure. Il ne s’agit pas d’un simple hommage aux premiers GTA, ni d’un RPG à mécanismes fatigués : The Precinct veut créer une mémoire alternative des années 80, où la ville est un organisme détraqué et le joueur, son globule blanc armé. L’expérience qui en résulte est imparfaite, mais sincère, captivante, et souvent plus audacieuse qu’il n’y paraît.

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Le récit de The Precinct s’ancre dans une ambition claire : explorer les arcanes de l’identité, héritée comme choisie. Nick Cordell Jr., jeune recrue du commissariat d’Averno City, vit dans l’ombre d’un père héros, abattu dans des circonstances troubles. Cette tension initiale — élever la figure paternelle au rang de mythe tout en la désacralisant par l’enquête — structure tout le jeu. La narration est rythmée, sans emphase, servie par des dialogues sobres mais percutants. Elle se déploie avec subtilité à travers les rapports de mission, les conversations de vestiaire, ou les fragments d’enquêtes qu’on rassemble sans y prêter attention, comme si l’on glanait les éclats d’une vérité en miettes. Si la trame principale ne surprend jamais totalement, elle évite le piège du bavardage ou de la grandiloquence. Elle reste modeste, presque pudique, et c’est dans cette retenue qu’elle touche. L’écriture des personnages secondaires — mentors fatigués, criminels charismatiques, citoyens ambigus — renforce cette tonalité humaine. La structure, un peu linéaire, gagnerait à offrir davantage de moments décisifs, mais le propos est suffisamment maîtrisé pour maintenir l’intérêt sans jamais sombrer dans le décoratif.

La campagne principale peut être bouclée en une quinzaine d’heures, selon le degré d’investissement dans les quêtes secondaires. Ces dernières abondent, souvent sous forme d’interventions aléatoires ou de patrouilles répétitives, qui participent à la sensation de vivre un quotidien policier. Elles instaurent une forme d’habitude, de présence continue dans la ville, mais manquent de pics narratifs ou de mise en scène. Le système de progression est clair et fonctionnel : nouveaux équipements, quartiers débloqués, options tactiques enrichies. On aurait aimé y trouver plus d’embranchements, ou des conséquences durables à certains choix d’action. Cela dit, la structure linéaire n’annule pas la sensation d’accomplissement, grâce à une montée en tension bien calibrée. La rejouabilité repose essentiellement sur la diversité des événements aléatoires et le goût de la ronde nocturne.

L’architecture ludique de The Precinct repose sur un équilibre subtil entre simulation et arcade. La maniabilité est fluide, d’une précision rare pour un jeu à la vue top-down. Les poursuites en voiture sont nerveuses, spectaculaires, parfois chaotiques, mais jamais injustes. L’intégration des outils policiers — herses, radios, renforts, armes non-létales — forme un tout cohérent, qui exige d’adapter sa stratégie à chaque situation. Loin d’être un gadget, le respect des procédures devient un enjeu : faut-il taser un suspect menaçant ou tenter la négociation ? La difficulté se révèle progressive mais constante. Les délits mineurs servent de période d’apprentissage avant d’affronter les fusillades impromptues et les opérations de grande ampleur. On apprécie cette montée en puissance organique. Cependant, à mesure que les heures s’accumulent, le manque de renouvellement dans les missions commence à peser. Certaines séquences, bien pensées sur le papier, s’essoufflent faute de variété. L’IA des suspects est parfois brillante, parfois déroutante, ce qui provoque autant de surprises que d’irritations. Mais malgré ces aspérités, la boucle de gameplay reste engageante, portée par une tension latente qui ne se dément pas.

Visuellement, The Precinct impressionne dès les premières minutes. La ville d’Averno est un personnage en soi, construite avec une minutie fascinante. Les détails abondent : enseignes vacillantes, journaux qui tourbillonnent, flaques de pluie à la surface réaliste. Le jeu s’épanouit dans une esthétique « néon-noir » mûrement réfléchie. La palette de couleurs, oscillant entre froid industriel et rouge cramoisi, raconte l’état psychique d’une ville qui se consume de l’intérieur. Le travail sur la lumière est remarquable. Les reflets, les ombres projetées des gyrophares, le grain particulier des phares dans la nuit participent à une atmosphère urbaine entée dans l’imaginaire cinématographique des années 80. Certaines animations trahissent une production modeste, notamment dans les visages, mais l’ensemble parvient à conserver une forte cohérence. Quelques environnements supplémentaires ou une différenciation plus marquée entre les quartiers auraient pu renforcer encore la lecture spatiale, mais l’identité visuelle demeure constante et inspirée.

Sur le plan technique, The Precinct fait preuve d’une relative solidité. Le framerate reste stable dans la majorité des configurations modernes, et les temps de chargement sont raisonnables, même lors de transitions entre zones denses. Le moteur graphique se comporte bien, sans exploitations particulièrement innovantes mais avec une efficacité certaine. Toutefois, l’ensemble est entaché par une instabilité ponctuelle : collision avec des objets invisibles, pathfinding défectueux pour certains PNJ, et quelques crashs inexpliqués lors de longues sessions. Rien de catastrophique, mais assez récurrent pour rompre l’immersion. Les patchs correctifs étaient déjà nombreux en première semaine, signe d’une finition précipitée. L’expérience reste néanmoins jouable dans son ensemble, et il ne fait guère de doute que des mises à jour viendront stabiliser les derniers errements.

La bande-son de The Precinct constitue l’une de ses pierres angulaires. Composée de nappes synthwave évocatrices mais jamais intrusives, elle accompagne l’action avec sobriété et justesse. Les temps calmes sont ponctués de notes languissantes, tandis que les interventions violentes enclenchent des motifs plus rythmés, sans jamais sombrer dans la redondance. Le design sonore dans son ensemble est soigné. On distingue nettement les cliquetis des talkies-walkies, les crissements de pneus sur différentes surfaces, les ambiances de fond qui changent selon les quartiers. Les doublages sont inégaux : le protagoniste bénéficie d’un timbre posé et crédible, là où certains personnages secondaires peinent à convaincre. Une variété musicale plus marquée dans les moments d’exploration ou de veille aurait été bienvenue, mais dans l’ensemble, l’univers sonore contribue efficacement à l’ambiance.

The Precinct ne se contente pas de singer les premiers GTA : il en inverse les fondations. Là où le genre a bâti sa légende sur le chaos et la transgression, le jeu de Fallen Tree Games propose une posture inhabituelle, presque antithétique — celle de l’agent de l’ordre, lucide mais impuissant, face à une ville qui ne guérit pas. Loin du pastiche ou du clin d’œil, il s’ancre dans une tradition plus introspective, héritier lointain de Beat Cop ou This Is the Police, mais avec une volonté cinématographique assumée, et une conscience morale rare.
La ville d’Averno n’est pas un décor, mais un symptôme ; le joueur, non un acteur tout-puissant, mais une pièce du système qu’il tente de contenir. Chaque intervention n’est pas seulement un enjeu de gameplay : elle devient une question silencieuse, lancinante, sur la fonction même de la justice. Ce n’est pas un jeu qui fait la leçon. C’est un jeu qui interroge, patiemment, sans grands discours, par le poids des gestes répétés.

The Precinct n’est pas un jeu parfait, mais c’est un jeu nécessaire. Il échoue parfois, trébuche souvent, mais avance avec une honnêteté rare. Sa technique vacille, son ossature s’épuise par endroits, mais son ton, lui, reste clair, engagé, et cohérent. Il n’apporte pas toutes les réponses — il ne cherche pas à en donner. Il regarde simplement autrement. Je le recommande à celles et ceux qui aiment le jeu vidéo pour ce qu’il peut évoquer sans l’imposer : une idée, une ambiance, un regard. Il ne vous happa pas par l’action ou l’exubérance. Il s’impose autrement — comme un souvenir de patrouille, entre silence et sirènes, que l’on ne quitte pas vraiment.